Une petite voiture rouge se faufilait à travers les rues complètement vides. La pluie battante tapait contre les vitres, ce qui énervait sensiblement Sam. Essuie-glace à fond, il était recroquevillé sur son volant pour apercevoir la route, sa femme gémissant à l'arrière. Vanessa, enceinte de huit mois et deux semaines, avait eu ses premières contractions deux heures auparavant et avait perdu les eaux dans la voiture. La banquette arrière garderait toutes traces de cette journée mémorable à jamais. Sam ne cessait d'accélérer pour ralentir quelques secondes plus tard, voir même quasiment s'arrêter, il n'arrêtait pas de pester contre les voitures qui causaient cet embouteillage. Vanessa, quant à elle, avait adopté une respiration lente pour essayer de se calmer, malgré tout, les contractions étaient de plus en plus fortes, régulières et rapprochées. Commençant à paniquer, elle n'arrêtait pas de gesticuler à l'arrière, ce qui stressait encore plus le conducteur.
Quinze minutes plus tard, la Ford se garait sur le parking de l'hôpital. Sam se précipita à l'entrée, prévint l'accueil et attrapa une chaise roulante afin d'aller chercher sa femme. Ses cris ne tardèrent pas à rompre le silence régnant dans la salle d'attente. Et les médecins se précipitèrent sur elle pour l'amener en salle d'accouchement. La suite fût nettement plus rapide, au bout de vingt minutes, Sam tenait déjà leur petite fille dans ses bras. Un bonheur immense envahit la famille en cet instant, cet être tant attendu depuis plusieurs mois était enfin arrivé.
Annabeth rêvassait devant la fenêtre, un feutre à la main. Elle venait d'achever le dessin d'un cheval dans une prairie, celui-ci ne la satisfaisait pas totalement, ce qui expliquait sa mine boudeuse lorsqu'elle observait son œuvre. Elle ne tarda pas à descendre de son fauteuil en osier et traversa la salle à manger de son petit pas silencieux. Elle arriva à la cuisine où elle retrouva sa mère en train de cuire un merveilleux rôti qui sentait dans toute la maisonnée. La petite fille ouvrit la poubelle, avec de grandes difficultés, et y fourra négligemment son dessin. Elle se tourna ensuite vers sa mère, grimpant sur l'une des chaises.
"Maman, tu travailles à quelle heure ?" Celle-ci baissa enfin les yeux vers sa fille et lui sourit, sourire qui paraissait très peu sincère.
"Dans deux heures, ton père rentrera un peu plus tard, tu seras sage toute seule, hein ?" La petite fille, bien que déçue, hocha gentiment la tête. Elle avait l'habitude de rester seule chez elle depuis un an maintenant. Pendant l'année, la garderie lui permettait de revenir à la maison à seulement dix-sept heure, son père rentrait, par chance, également du travail. Mais durant les congés scolaires, les parents d'Annabeth n'avaient aucune solution et étaient cruellement en manque d'argent ce qui ne leur permettait absolument pas de prendre une nounou. La petite fille savait pertinemment qu'elle ne devait rien dire à personne. Mais elle savait également qu'une inconnue, "l'assistante sociale" comme l'appelaient ses parents, passait assez souvent pour vérifier si elle était bien éduquée et heureuse.
Ne rien dire à personne. Vanessa avait sans cesse répété à sa fille que si elle ne disait rien, tout se passerait pour le mieux et pourtant aujourd'hui, elle se retrouvait dans une famille qu'elle ne connaissait pas, ne sachant absolument pas si elle allait revoir ses parents un jour. L'assistante sociale lui avait expliqué qu'il s'agissait d'une famille d'accueil et qu'ils s'occuperaient d'elle le temps que tout aille mieux à la maison. Annabeth n'avait pas dit un mot depuis quatre heures, même quand l'homme, qui habitait ici, était venu la border, elle n'avait pas daigner lui souhaiter bonne nuit. Elle ne comprenait pas ce qu'il se passait, en une journée sa vie avait été bouleversée. Une autre petite fille aurait peut-être été heureuse de vivre dans une grande demeure avec un immense jardin, mais elle aurait mille fois préféré être dans sa petite maison avec sa minuscule chambre.
Un cartable rose sur le dos, une jolie jupe plissée et un diadème dans les cheveux, Annabeth attendait devait la porte d'entrée. Elizabeth, celle qui avait été sa mère pendant plus d'un an, la tenait par la main, une larme à l'œil. Elle tentait de cacher sa tristesse du mieux qu'elle pouvait, mais malgré le peu de temps que la brunette avait passée avec sa famille, elle s'était déjà très fortement attachée. La petite porte bleue s'entrebâilla, ce qui laissa apparaître de longues jambes blanches parfaitement habillées par une jupe en jeans. Annabeth reconnue immédiatement sa mère, celle qu'elle n'avait vue qu'un week-end par mois depuis un an. La brunette observa sa mère pendant quelques secondes avant qu'elle n'accepte d'ouvrir complètement la porte.
"Ma chérie te voilà enfin !" Elle attrapa sa fille, la serra maladroitement dans ses bras, elle la tira ensuite à l'intérieur de la maison, ferma la porte en regardant à peine Elizabeth. La femme resta sur le palier pendant quelques minutes avant de réaliser qu'elle ne reverrait plus jamais Annabeth. La petite fille, quant à elle, traversa le petit hall et se dirigea vers le salon, elle savait qu'elle y trouverait son père, comme toujours. Elle sauta dans ses bras, puis s'assit patiemment à ses côtés. Depuis quelques temps, elle ne parlait que très peu, ne se servant que de sa bouche pour des choses utiles. Elle resta ainsi pendant une longue heure, profitant de l'odeur du rôti que sa mère faisait cuire dans la cuisine. Au moins, elle n'avait pas oubliée le repas préféré de sa fille.
La soirée battait son plein, musique à fond et nourriture à profusion, tels avaient été les maîtres mots de la soirée d'Eva, la meilleure amie d'Annabeth. Les deux jeunes filles avaient passé la semaine à préparer cette fête et quasiment aucune invitation n'avait été refusée. L'immense maison d'Eva bénéficiait d'une énorme piscine, qu'elle n'allait pas tarder à exploiter, tout comme la dizaine de personnes qui se trouvaient déjà à l'intérieur. Cette fête resterait probablement dans les mémoires pendant de nombreux mois, ce qui ne manquerait pas d'augmenter sensiblement la popularité des deux jeunes femmes. Annabeth travaillait la semaine dans un fast-food, heureusement pour elle, son patron avait accepté de lui donner son vendredi de congé sans poser de questions. Elle n'avait pas prévenu ses parents qu'elle ne travaillait pas, préférant les laisser croire qu'elle se tuait à la tâche plutôt que de leurs dire qu'elle serait entourée de la moitié de son lycée. De toutes manières, ils ne l'écoutaient ni ne la comprenaient que très rarement depuis leur dernière mésaventure, celle où elle avait été obligée de passer un an loin de sa famille parce qu'elle était malheureusement tombée de l'escalier un soir où elle était seule.
Elle observait fièrement ses parents du haut de l'estrade, son uniforme parfaitement repassé suivait les moindres de ses mouvements alors qu'elle s'approchait de son proviseur. Monsieur Randson était heureux de constater que la majorité de cette promotion avait réussie son année scolaire avec brio, il connaissait également les rêves d'Annabeth et avait envoyé des lettres à toutes les bonnes universités qu'elle avait choisie. Finalement, la brunette irait à Stanford pour espérer devenir chirurgien dans quelques années. La jeune femme avait trimée toutes ces années pour avoir le meilleur niveau scolaire possible, tout en ayant un travail d'étudiant et une vie sociale épanouie, elle était heureuse de voir que son endurance avait enfin porté ses fruits. Sa famille semblait également réjouit, après les quelques années difficiles qu'ils avaient passés, les Reed avaient enfin effacé toutes les rancœurs qu'ils avaient accumulées. Aujourd'hui, ils formaient une famille soudée et unie, bien que quelques débats restaient encore tabou et qu'Annabeth n'était pas encore prête à tout leur confier.
Annabeth serrait son poignet, ne cessant de tirer sur ses manches pour que personne ne remarque les rougeurs qui l'encerclaient. Les larmes aux yeux, elle marchait d'un pas rapide, espérant arriver à la salle de repos sans croiser aucun autre résident. Une fois la porte close, les larmes se déversèrent sans la moindre retenue. Elle était lasse de ces histoires, fatiguée de se disputer avec son fiancé sans la moindre raison. Elle aimait Randy, elle en était certaine, mais il devenait un peu plus violent chaque jour et elle ne savait pas combien de temps elle pourrait encore le supporter. La jeune résidente avait plusieurs fois fait ses valises, pour les défaire quelques minutes plus tard. Ses sentiments à l'égard du jeune avocat étaient tellement forts qu'elle ne voulait pas tout gâcher sur un coup de tête. Mais à force de voir ses blessures, elle se disait qu'il n'y aurait jamais de bon moment et qu'il fallait mieux qu'elle parte avant qu'il ne soit trop tard.
Assise sur l'un des lits, elle se mit à réfléchir et se dit qu'il était temps, qu'elle devait profiter de la longue journée de travail qu'attendait Randy pour prendre toutes ses affaires et lui laisser une lettre. Il serait anéanti, elle en était sûre, mais il comprendrait aussi et ne chercherait pas à la revoir. Cette dernière pensée la força à agir, elle se releva, cachant ses yeux bouffis du mieux qu'elle put et se dirigea immédiatement vers le parking.
Arpentant les couloirs d'un pas fier et assuré, Annabeth se dirigeait vers la salle d'opération où l'attendaient deux de ses résidents. Enfin titulaire en chirurgie pédiatrique, elle faisait profiter de ses connaissances à qui le méritait. Toujours un sourire aux lèvres, la jeune femme était connue dans l'hôpital pour son optimisme et sa sensibilité, mais également pour ses sautes d'humeur et ses habitudes à pousser la chansonnette en pleine opération ou dans le couloir. Elle était respectée par ses collègues, bien que certains ignoraient encore son existence.