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And I am here still waiting
Though I still have my doubts.

LIFEHOUSE,Broken
Le paysage était identique, jour après jour, exactement comme une photographie. Le bruit similaire, désagréable, grinçant, du train qui traversait les railles en fer. Toujours à la même heure. Écouter le même bourdonnement incessant des chuchotements lointains des personnes qui passaient en continu, d'avant en arrière, sans jamais s'arrêter. Sa vie était maintenant comme écrite sur une unique feuille blanche, simple, qui se répétait et se répétait à l'infini. Dulce ouvrait les yeux, sa bouche était amère: elle sentait sur sa peau cette sensation, la peur, qui lui entravait l'âme et qui la lui secouait tellement fort qu’elle lui donnait envie de vomir. Elle se leva en un bond et couru jusqu'à la salle de bain, le lavabo devint durant les cinq minutes les plus douloureuses de sa vie son meilleur ami. Et après les nausées vint les larmes, tellement puissamment qu'elle ne réussit pas à les arrêter. Elles glissèrent sur son visage en grosses gouttes, pleines. Elles s'écrasèrent ensuite sur ses mains, les brouillant de douleurs. D'une saleté invisible à l’œil nu mais, pourtant d'une couleur tellement intense qu'elle rendait l'âme aveugle. Ducle se releva du sol et ce qu'elle vit dans son miroir lui fit rater quelques battements. Ses traits étaient bouleversés, comme si elle venait de se faire battre, deux auréoles rouges entouraient ses yeux tandis que ses vêtements étaient tâchés d'alcool. Hier soir, elle avait vraiment bu pour la première fois. Elle avait bu pour chercher d'oublier, la haine, la fatigue, la peine. Dulce pensait vraiment que quelques verres auraient pu laver toute cette douleur qui lui brûlait la peau. Elle se dégoûtait et la pire chose dans toute cette aversion, c'était elle-même. Sous la douche, Elle avait réussi à laver un peu de cette noirceur qu'elle avait sur le corps. L'eau coulait lentement le long de son être, traversant chacun de ses angles. Caressant son âme. Pourtant, son mal-être était toujours là, plus présent que jamais.  Elle se vêtu sommairement et sortait. Dulce sortait sans penser à où elle allait. Elle sortait sans écouter les plaintes aiguës de sa mère désespérée. Sans savoir où était Eliyas ou comment il allait. La radio incontinente de sa voiture passait mélodies sur mélodies, les enchaînant sans ordre précis, sans accord. La jeune femme se laissa crouler sous les poids des notes et improvisa un concert dans sa tête. Ce soir, elle ne voulait pas de silence, elle l’exécrait, le haïssait profondément. La musique coloriait sa soirée, lui libérait l'esprit des mauvaises pensées. L’italienne aurait aimé être une note musicale, pas une en particulier, mais plutôt une différente chaque matin. Elle aurait voulu pouvoir courir librement dans le vent et s'arrêter uniquement pour faire écouter sa symphonie aux autres. Un nouveau spasme traversait Dulce. Elle pensait en avoir fini mais, la voilà en train de vomir au bord d'une route, déserte. Elle relevait le regard et un sourire fendait ses lèvres. Le vent soufflait légèrement contre ses joues jusqu'à ses cheveux. Soulevant malicieusement quelques mèches rebelles. Ses pas l’avaient menés vers un nouveau bar où noircir son chagrin, un nouveau verre pour cette fois noyer sa souffrance et encore une nouvelle ivresse pour être certaine que personne ne soit capable de la déterrer. Même s’il prenait le risque de se salir les ongles en creusant à mains nues, même s’il avalait la poussière en s’écorchant les poumons, qu’il respirait l’humidité d’une souffrance à vif. Pour la première fois, plus rien n'avait plus d'importance.

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When you wanna die, when you hurt inside
Don't know what you lie for anyway

Keane, Nothing In My Way

« La tension du patient est de 9, 5 ce matin ce qui est encore assez faible mais, les douleurs abdominales sont majoritairement localisées. Les prélèvements biopsiques pour analyse anatomo-pathologique tout comme l'échographie ont confirmé le diagnostic La taille des kystes laisserait présager une tumeur maligne. » Dulce feuilletait le dossier qu'elle tenait entre ses doigts sans réellement y prêter attention. Elle écoutait distraitement les conjectures de son résident, qu'elle savait étonnamment doué malgré sa nature impétueuse. L'oncologie était une spécialité qui réclamait une certaine douceur silencieuse, une délicatesse un peu mélancolique qui vous faisait chavirer aux bords d'un précipice de morbidités. La trois quarts des patients ne s'en sortait pas vivant et lorsque cela arrivait c'était après des années de combat acharnés avec la maladie. Il fallait avoir la contenance pour tenir le choc sinon, le job vous dévorez vivant, entièrement, vous rongez jusqu'à l'os. « Faites une coelioscopie exploratrice pour vérifier le développement des métastases, en cas de lésion une IRM sera nécessaire et nous aviserons par la suite quant à une possibilité d'intervention ou non. » De sa belle écriture, dont elle n'était pas peu fière lorsqu'elle n'était encore qu'une jeune et innocente étudiante des rêves pleins l'esprit, elle signa la feuille qu'on lui tendait avant de faire déguerpir fissa le résident d'un simple regard. Le bruit de ses pas nerveux résonnait toujours dans son crane lorsqu'elle se dirigeât vers la salle de repos des titulaires. « Docteur Medici, ceci est arrivé pour vous. » Annonçait joyeusement une réceptionniste tandis que la cancérologue sortait de l'ascenseur. Elle lui remit une enveloppe d'un mordoré un peu délavé, elle était apparemment scellée. Sans réellement y réfléchir Dulce déchirait le papier tout en laissant choir les différents morceaux dans la poubelle face à elle dans un ballet de lambeau muet. L'amertume emplissait sa bouche lorsque ses yeux glissaient difficilement sur la vague de mots qui lui faisaient face, qui la submergeaient. C'était une âcreté qui irritait sa gorge, l'élancement de l'erreur. Troisième divorce, nouvel échec.

« Il fébrile (...) Défibrillateur, chargez à trois-cent. (...) Chargé. (...) On dégage (...) Toujours en asystolie. » Des bruits d'une familiarité qui ne faisait qu'ajouter à son malaise. Dans les urgences tout semblait être perpétuellement la même rengaine, un chaos troublé d'harmonie. Malgré les années qui passaient inexorablement et les visages qui défilaient les uns après les autres, cet endroit maintenait une constance qui pour des yeux non habitués pouvaient sembler macabre toutefois il véhiculait une profonde sensation de plénitude chez Dulce. Une réminiscence d'un passé qui maintenant dépérissait dans les limbes de ses souvenirs. D'un signe de la tête elle salua un collègue qui passait près d'elle sans s'attarder plus longtemps que nécessaire sur son regard interrogateur. A dire vrai, elle tentait avec difficulté de passer le plus inaperçu possible, la tête haute-perché, ses pas calibrés par une décision qu'elle savait qu'elle allait regretter dans un futur toujours trop proche. C'était un poignard qui se déplaçait dans les sinuosités de son coeur gorgé d'un sang tellement rouge qu'il en devenait noir. Sombre comme son âme. Elle la sentait cette haine, caresser ses traits, lorsqu'elle entrait discrètement dans la chapelle qui bordait le service des Urgences. Coincé contre un coin isolé, à l'abri des regards, elle sortait de la poche droite de sa veste de titulaire une bouteille où le liquide limpide ne trahissait en rien son contenu. A cette heure de la journée, la chapelle était intégralement vide. Les fragrances qui se dégageaient agressait son épiderme, lui piquait un peu les yeux. Des larmes furent prisonnières de ses cils après qu'elle est avalée une grosse gorgé du spiritueux. La vodka incendiait sa gorge en une délicieuse sensation qui se propageait dans son thorax. Dulce s'appuya contre le mur. Le froissement du tissu se répercutait contre les murs au même titre que son gémissement de satisfaction. C'était un plaisir teinté d'une souffrance qui coulait vicieusement dans ses veines. En règle général la titulaire parvenait à contrôler ses pulsions jusqu'à la fin de son service mais, aujourd'hui, le besoin était viscéral. Il battait dans ses tempes tandis qu'elle se délectait de son pécher en buvant goulument une nouvelle gorgée. Le son familier de son bipeur accroché à la poche arrière de son pantalon de travail la fit sursauter. « Merde. » Grondait-elle la bouche fendue en une grimace alors qu'elle essayait de remettre de l'ordre dans sa tenue. Sa carrière au bord du précipice, il ne lui fallait qu'un coup de vent pour sombrer. Dulce aspirait le plus d'air possible dans ses poumons, goûtant à l'oxygène sur sa langue avant de faire le chemin inverse. Elle devrait passer aux toilettes avant de remonter au service d'Onconlogie. Elle espérait toujours avoir des pastilles à la menthe dans son casier.

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here comes the rain again, falling from the stars
drenched in my pain again becoming who we are

Green Day, Wake Me Up When September Ends
Elle n'arrivait pas à se souvenir de la dernière fois qu'elle avait été heureuse. Ses journées s'écoulaient lentement, immergé dans l'ennui et la mortelle quiétude de son appartement vide. Chaque jour qui débutait n'était qu'une copie identique du précédent, sa vie était plate, sans l'ombre d'une trace de vitalité. Elle restait recluse dans ce cloître qu'elle se plaisait à nommer sa vie. Il y avait en elle quelque chose d'étrange, une indéniable capacité de résistance qui avait certainement un lien avec sa nature différente, une mutation génétique qui la rendait la plupart du temps physiquement insensible et inébranlable face à la douleur. Elle la supportait depuis qu'elle été née. Elle supportait l'affliction ou la peine, elle savait la nier. Elle supportait l'absence d'un quelconque point de référence qui la guidait. Comme réaction elle se laissait être la victime de n'importe quelle tempête qui voulait l'écraser contre des rochers, comme un jouet brisé. Et dans le fond sa tendance à vivre en se consumant petit à petit ce n'était pas une destruction mais, plutôt un vaccin. Rien d'autre sinon la forme blindée, inoffensive, plus faible, d'une maladie violente. Ainsi Dulce s'infectait, elle s'empoisonnait le sang, les yeux et les pensées, pour ne pas imploser. Pour ne pas arriver à ce point sans retour, qu'elle voyait s'approcher d'elle chaque jour un peu plus, lumineux et brûlant, quasiment capable de l'effleurer à présent. Le rejet.