« Dis papa, elle revient bientôt maman ? » demanda une petite fille, pleine d'espoir, à son père qui venait de s'installer au volant de la voiture familiale. Cela faisait plus d'une semaine que sa maman étant partie en vacances sur une île du Pacifique, pour se reposer, enfin ça c'était ce que tout le monde essayait de faire gober à l'adorable enfant. Elle ne s'en doutait pas, et c'est tout naturellement qu'elle demanda à son père quand sa maman allait rentrer, elle lui manquait tant. Elle vit ses mains se crisper sur le volant, et son regard se vriller sur la route tandis qu'il démarrait le véhicule. La petite fille s'enfonça dans son siège, et serra son sac du plus fort que ses maigres bras le lui permettaient, elle guettait une nouvelle crise de la part de son géniteur. Du haut de ses onze ans, elle en avait l'habitude désormais. Elle savait comment gérer ses excès de colère, elle devait se taire, regarder ses pieds ou fixer un point précis, et le plus dur, attendre que ça passe. Elle regardait alors les paysages défiler, fuyant le regard de son père. Il s'exprima enfin en un souffle, la voix tremblante mais dure, sans appel.
« Combien de fois t'ais-je déjà répété de ne pas poser de questions stupides ? » Que fallait-il faire maintenant ? Continuer à fixer l'horizon, s'enfoncer encore plus dans son siège, et s'excuser. Tel était le code qu'elle s'était fixé et qu'elle respecterait à la lettre.
« Pardon... » murmura-t-elle, à peine audible, mais elle savait qu'il l'avait entendu. Elle comptait les minutes, les secondes qui la séparaient de l'école. Ce n'était plus que l'affaire de quelques kilomètres, et pourtant cela lui paraissait effroyablement long, comme chaque matin. Et pourtant elle n'avait pas le choix, son père refusant qu'elle prenne le bus de ramassage scolaire pour qu'elle se rende à l'école. Rompant le silence, son père, de plus en plus crispé, s'exprima à nouveau.
« Ta mère ne reviendra pas. Elle ne veut plus te voir. » lâcha-t-il tel un flot de venin. La petite blonde se contenait, elle ne voulait pas lui laisser la satisfaction de la voir pleurer, et d'ainsi de pouvoir la traiter de faible. Ce n'était pas la pire réaction qu'il aurait pu avoir, il aurait pu lever la main sur elle, une nouvelle fois. Sa femme le quittait parce qu'il était violent, abusif, il aurait pu reporter sa colère sur sa petite fille. Il l'avait fait à l'aide de mots, mais l'école était bien trop proche pour qu'il puisse frapper son enfant. C'était ça qui la sauvait aujourd'hui, mais qui ne pourrait sans doute pas la sauver le soir, quand elle rentrerait à la maison. Peut-être qu'il ne franchirait jamais cette ligne, la petite fille l'espérait de tout son cœur. Cette petite fille, c'est moi.
MARS 1993, PORTLAND
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Lily-Rose soupira, cela faisait plus de trois années qu'elle travaillait pour le journal local d'Albuquerque - un job intéressant même si le salaire n'était pas mirobolant - et voilà qu'on lui confiait une mission soit disant spéciale, interviewer le tout nouveau champion du monde de rallye, Aymeric Löwenadler. Expliquez-lui comment une journaliste et critique littéraire se retrouve à questionner et à "découvrir la face cachée" d'un pilote automobile ; simplement parce que " ça passe toujours mieux avec une jolie fille " d'après l'éditeur. Elle ne savait pas si elle devait accepter le compliment ou s'offusquer, dans tous les cas elle n'avait pas le choix et elle se devait de maîtriser son sujet. Elle n'avait qu'une journée pour en apprendre le plus possible sur le sujet, ingurgiter des tonnes d'informations sur les courses automobiles et sur le dit champion du monde, dont elle ne connaissait que peu de choses à part le physique qui lui avait valu quelques articles élogieux dans la presse people. Elle imaginait déjà les platitudes qui allaient sortir de sa bouche, les réponses formatées conseillées par son agent et donc rien de très intéressant pour l'article qui était censé faire la une du journal très prochainement. La jeune femme était énervée et quelque peu désespérée le jour-même car elle avait l'impression de ne rien maîtriser, elle se voyait déjà sortir des questions bateaux auxquelles il avait dû répondre un bon milliard de fois. Tant pis, elle se devait d'être aussi professionnelle que possible, surtout face à un tel beau-parleur. Et quel beau-parleur il était ! Enfin, ça c'était sa première impression après de banales présentations et un commentaire sur les yeux de Lily-Rose, elle n'y échappait jamais. Néanmoins elle devait bien se l'avouer, il était séduisant et très grand - enfin, vu sa petite taille, tout le monde paraissait grand pour Lily-Rose. D’où sa première question.
« Dites moi, comment faites-vous pour rentrer dans cette voiture ? » Étonnement cela fit rire Aymeric, il ne s'était certainement pas douté qu'elle était sérieuse mais cela aida à détendre un peu l'atmosphère. Ainsi, plus les minutes passèrent et plus elle découvrait quelqu'un de sensible, posé, très loin de l'image de séducteur que lui donne les médias. Et le pire, c'était qu'elle appréciait ce qu'elle voyait, qu'elle l'avait trouvé touchant lorsqu'il avait évoqué sa famille. Elle s'était trouvée tellement idiote sur le moment, encore plus quand elle avait accepté d'aller dîner avec lui. Lily-Rose n'avait rien planifié cette fois-ci, Aymeric ne suivait pas le chemin qu'elle s'était tracée depuis sa jeunesse, depuis qu'elle avait décidé que sa vie suivrait un chemin classique, célibataire jusqu'à ce que l'homme idéal vienne la surprendre - un peu comme dans les films. Il était l'exception, celui qui allait chambouler toute sa vie.
OCTOBRE 2008, ALBUQUERQUE
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« Où suis-je ? » articula lentement Lily-Rose alors qu'elle ouvrait les yeux pour découvrir des murs blancs et une infirmière qui changeait sa perfusion. Elle ne comprenait pas ce qu'elle faisait ici, elle ne reconnaissait pas l'endroit et son esprit ne pensait qu'à une seule chose ; retourner chez elle pour s'occuper de Xander. Elle reposa une nouvelle fois sa question, beaucoup moins gentiment qu'auparavant. Enfin l'infirmière daigna lui répondre
« Vous êtes à l’hôpital Mount Sinai de New-York, vous avez fait un malaise à l'aéroport hier. Vous vous souvenez ? » Elle hocha un non de la tête, ses pensées étaient embrumées. Qu'est-ce qu'elle faisait à New-York ? Son bébé se trouvait seul à Albuquerque en ce moment, elle se devait de rentrer avant qu'il ne lui arrive quelque chose. Elle l'imaginait déjà pleurer et ça lui était intolérable.
« Il faut que je rentre chez moi, mon fils a besoin de moi...Donnez moi un formulaire de décharge ! » Tout n'était pas encore très clair dans son esprit mais l'infirmière semblait décidée à ne pas la laisser partir sa patiente qui se révélait être de plus en plus agressive.
« Vous ne pouvez pas partir, vous souffrez de déshydratation, d'épuisement et vous êtes clairement sous-alimentée... Vous devez vous reposer Madame. » La réponse de Lily-Rose fut assommée par un léger sédatif que lui administra l'infirmière. Ce n'est que quelques heures plus tard, après un énième réveil qu'elle se remémora tout ce qui s'était passé. Xander avait pleuré, hurlé une énième fois et la jeune femme avait fini par s'isoler dans sa chambre, elle avait pleuré toutes les larmes de son corps car elle avait été incapable de consoler ou de s'occuper correctement de son fils. Elle était si fatiguée et ce depuis des mois, elle n'était plus qu'un zombie, déprimée et vide, qui essayait tant bien que mal de s'occuper de son enfant. En vain. Elle se considérait comme une mère effroyable et clairement son fils ne l'aimait pas. Aymeric était absent, lui aussi lui échappait. Et c'était comme ça qu'elle avait fait ses bagages, défait ses bagages, puis dans un geste désespéré les avait fait et écrit un petit mot à l'adresse de l'homme qu'elle aimait. Puis elle était partie, elle avait pris un taxi pour l'aéroport le plus proche et pris un ticket au hasard qui l’emmena à New-York. Elle était partie parce qu'elle ne se reconnaissait plus, qu'elle avait eu peur qu'elle ne se fasse du mal, qu'elle fasse du mal aux gens qu'elle aime plus que tout au monde, qu'elle cède à toutes ces pulsions négatives qui la hantaient depuis ces dix derniers mois. Finalement c'est son psychiatre qui a fini par lui interdire de revoir son enfant jusqu'à ce qu'elle soit guérie, qu'il fallait qu'elle aille mieux avant tout.
FÉVRIER 2011, NEW-YORK
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« Encore en train de regarder les infos ? » demanda Aidan, légèrement exaspéré alors qu'il entrait dans le salon. Elle ne répondit pas, elle était bien trop angoissée pour formuler une réponse cohérente, soit un mensonge de plus dans ce cas précis. Les mêmes images étaient diffusées en boucle et Lily-Rose n'arrivait pas vraiment à s'en détacher.
« Le champion de rallye, Aymeric Löwenadler, hospitalisé d'urgence suite à un accident de voiture... » Elle avait toujours su que quelque chose dans ce genre finirait par lui arriver, tout simplement parce que cela arrivait toujours et que personne n'est jamais à l'abris d'un accident. Elle tentait de rester stoïque, Aidan connaissait sa pseudo obsession pour les courses automobiles. Il était loin, très loin de la vérité. La jeune femme n'avait jamais vraiment aimé ce genre de courses automobiles, elle s'y était intéressée plus que de raison à une certaine époque pour faire plaisir à l'homme qu'elle aimait mais si elle avait pu en rester éloignée, elle l'aurait fait sans hésitation. Elle trouvait simplement ça trop dangereux, aujourd'hui en était la preuve. Si elle avait continué à s'y intéresser c'était pour garder un minimum de "contact", c'était sa manière étrange de vérifier s'ils allaient bien. Ainsi elle pouvait entrevoir, grâce aux caméras, des moments de bonheur, elle pouvait voir évoluer son fils et se rassurer quant à sa décision. Ils étaient bien mieux sans elle.
« Je vais finir par être jaloux de ce type... On dirait que tu t'inquiètes plus pour lui, que tu ne connais même pas, que pour moi Lily ! » Il avait de quoi être jaloux, si seulement il savait. Il rajouta que ce n'était qu'une jambe cassée, que ce genre de professionnel avait l'habitude des blessures et qu'en sa qualité de médecin il savait qu'il se remettrait aisément. Lily-Rose, elle, voyait bien plus loin que la blessure, que la douleur, elle voyait l'hospitalisation et son fils qui allait voir la souffrance de son papa. Elle se demanda automatiquement comme il allait gérer la situation - cela n'aurait pas été si problématique si elle ne les avait pas abandonné trois ans plutôt. Elle était sans doute la pire mère du monde et son compagnon actuel n'en avait aucune idée, elle avait l'impression de n'être qu'un mensonge et elle n'en pouvait plus. Elle n'en pouvait plus de lui cacher cette partie d'elle - il savait qu'elle avait été dépressive, rien de plus - elle n'en pouvait plus de ne plus voir son fils, son bébé malgré tout. Lily-Rose éteignit le téléviseur, pris une grosse inspiration et se lança.
« Il faut que je te dise quelque chose, quelque chose de très important... Et si tu ne me regardes plus de la même manière après ça, sache que je comprendrais... » Le jeune homme sembla s'inquiéter, en presque deux ans de vie commune elle n'avait jamais été aussi sérieuse, ni employé un ton aussi grave. Il vint s'asseoir près d'elle et pris sa main, pour la rassurer et l'inciter à se confier à lui.
« Tu sais que tu peux tout me dire Lily ! » Elle essaya de sonder un instant les yeux de l'homme qu'elle aime, ne sachant pas comment formuler ce qu'elle avait le cœur. Elle avait peur d'être trop directe, pourtant c'était la meilleure solution.
« J'ai un fils et il est son père... » Il ne sembla pas comprendre immédiatement, Lily-Rose lui raconta toute l'histoire. Elle avait peur de son jugement, qu'il arrête de l'aimer pour ce qu'elle avait fait. Au lieu de ça, il ne dit qu'une chose.
« Retrouve-les ! »JANVIER 2014, NEW-YORK