La première que tu l'as vue, t'y a pas vraiment cru. En fait tu croyais que c'était une grosse blague. Elle était plutôt mignonne, les cheveux blonds, ébourriffés mais pas trop. Elle n'était pas très grande, les jambes plutôt longues pour sa taille, tout en finesse. Elle avait ce petit air paumé qui te faisait craquer, ainsi que la manière dont virevoltaient ses yeux quand elle cherchait quelque chose. Elle était pieds nus, des petits pieds tous fins, endurcis, qui ne sentaient en rien la fraicheur du carrelage. Ni vernis, peu de maquillage, elle cherchait une marque de shampooing, qui bizarrement, à une place réfléchie dans ta salle de bain. Elle n'a pas de sac ni de caddie, elle tient juste dans sa main une bouteille d'eau gazeuse, un paquet de bonbons, des clous oui des clous, et du liquide vaisselle. Tu pries silencieusement pour que ce soit à ta caisse qu'elle passe, et ton sourire s'illumine quand elle pose modestement les articles sur le tapis roulant. Elle a un sourire adorable, pourtant si canaille. Elle a l'air d'une enfant, mais sa voix assurée ne laisse aucun doute, sur les épreuves qu'elle a du traverser. Une voix posée, sage et décidée. Un vague clignement d'oeil et elle disparait, vive et furtive, emportant son maigre butin. Désorienté, tu tentes d'hausser le ton "Mademoiselle, où sont vos chaussures?" Un éclat de rire et là revoilà, avec son sourire encore plus canaille. "Et bien , je n'en ai pas." Puis sa robe blanche disparait dans un froissement de tissu.

Elle n'a pas de nom, pas d'identité. Inexistant sur les réseaux, personne de ta connaissance ne l'a jamais aperçue. Persuadé qu'elle n'était au final qu'un fantôme, tu te résignes à tenter régulièrement de l'oublier. Marchant dans une grande rue, t'arrêtant devant une boutique charmante. Sans regarder le nom ni les prix, tu entres. Ta mère n'en sera qu'heureuse, tu lui dois bien ça au final. Humant le parfum sublime des roses écloses, tu en choisis une, fushia, la couleur préférée de ta génitrice. Sortant ton porte-monnaie et levant la tête, le comptoir paraissait auréolé d'une leur chaude. Elle était, brillante comme un ange, avec son putain de sourire canaille, qui te faisait fondre. Tu avais envie de stopper ses formalités de vente, de l'embrasser, de lui prendre la main ou de lui parler. Jetant un oeil au sol. Toujours nu-pieds, elle partit chercher un bout de ruban, et tu regardais comme un con le mouvent gracieux de ses jambes roses. Elle tortillone le ruban avec ses ciseaux, chose que tu n'as au grand jamais réussi à faire. Alors que tu t'apprêtes à franchir la porte, les vêtements puants d'odeurs fraiches et adolescente, roses et idylliques, tu oses lui poser une question. Toute simple, mais tu avais l'impression de profaner une déesse en lui demandant juste comment elle s'appelait. "Nac" La manière qu'elle avait de le prononcer, ne la rendait que plus canaille. En claquant la langue contre le palais, en esquissant un sourire. "Merci. " Tu partis doucement, te promettant de revenir un jour la voir. Deux minutes plus tard, elle te courait après, une rose à la main. " Tu l'avais oubliée" Elle te prit la main, comme si elle te connaissait depuis toujours. Tu apprendras bien plus tard que c'était normal pour elle. Sans rien répondre, en souriant, tu le pris d'entre ses doigts et t'éclipsa simplement, la laissant plantée là, pieds nus sur le goudron. Avec une rose à la main, et sur les lèvres, un sourire canaille.