Le son est assourdissant, lui, n’en revient toujours pas. Le long bip se fait intense, lui glace le sang, le fige surplace. Ses mains sont tremblantes et très vite, les infirmières arrivent. On lui crie dessus, on lui demande ce qu’il a fait, mais on n’obtient pas de réponse. Il n’en a pas. Pourquoi ce patient est mort ? Pourquoi son patient est mort ? C’est de sa faute. C’est tout. Malgré tout, on essaye de lui tirer les vers du nez.
« Bordel Mayfield, qu’est-ce que t’as foutu ?! Nom de dieu il étai vivant y a une heure, qu’est-ce que t’as fait ? Qu’est-ce que tu lui as fais ? » Ca, c’est la voix du titulaire présent ce soir-là. Rodgers. Il aime qu’on l’appelle comme ça. Pas de monsieur, ni de John avec lui, c’est par son nom qu’on l’appelle, point barre. Ici, tout le monde le sait, Peter l’a appris avec le temps.
« Monsieur.. » Rodgers est rouge de colère, se tenant prêt du patient tout en essayant frénétiquement de réaliser un massage cardiaque.
« Putain Mayfield, m’appelles pas monsieur mais dis-moi plutôt ce que t’as foutu pour que mon patient ait plus de pouls. » Le jeune homme de vingt sept ans qu’il est le regarde avec des yeux qui se remplissent de l’arme et d’incompréhension. Il parvient à se ressaisir quelques instants et à lui dire :
« J.. J’ai.. j’ai fais un massage pendant dix minutes Rodgers.. il est.. il est mort. Je .. Je sais pas ce qu’il se passait…Je suis arrivé dans sa chambre il s’étouffait.. il avait plus d’air et .. le pouls qui diminuait et .. » Rodgers, d’un air dépité et énervé, envois les infirmières avec Peter pour qu’il s’assoit, mange quelque chose, parce que ce petit là n’est pas en état de dire quoi que ce soit. Il fait une prise de sang, déclarant d’un ton solennel qu’il va aller parler à la famille. Sa famille. Peter se morfond d’avantage avec son café, pensant à la mère du gars. Il est venu pour trois fois rien, une fracture du bras, et pourtant, aujourd’hui, sous sa surveillance il était décédé. Et il sait parfaitement ce que les analyses vont révéler. Une erreur. Ce patient, c’était un casse-cou, dès qu’on venait le voir, il commençait à chahuter de partout, à gueuler, à faire des blagues à propos de Janine, son infirmière. Et le Peter, se laissant facilement distraire, a commis une erreur qui lui tiendra de leçon à vie. Un surdosage, quelques mL en trop, voire moins, et bam, une heure plus tard, il était là, trouvant son patient dans un état critique, il pouvait même plus respirer. Il lui avait ouvert la trachée, d’une main sûre de lui, ou presque, mais même comme ça, c’était foutu. Il avait commencé à pratiquer le massage cardiaque, pas de pouls, rien, juste cette sonnerie, cette sonnerie qu’il avait déjà entendu, oui, parce qu’il travaille dans un hôpital et que ce n’est pas le premier décès auquel il assiste, mais jamais il ne l’avait entendu pour lui. Elle ne faisait que rappeler son incompétence, et la chute du pauvre jeune homme. Assis à une table de la cafeteria, là où il attend avec un café que Rodgers se pointe, brandissant les résultats des analyses, il verse quelques larmes dans son coin. De sa position, il voit apparaître Roxane, sa petite-amie. Elle a une démarche rapide, comme toujours, on a toujours l’impression qu’elle est pressée. Il sourit, histoire de cacher ses larmes. Raté.
« J’ai appris pour ton patient.. Jsuis désolée.. Mais ça va bien se passer t’inquiètes, ils peuvent pas te virer du programme. Je veux dire, t’as rien fait, c’est pas de ta faute… » Il tourne la tête, plante son regard mouillé dans le sien. Pas besoin de mot, pas besoin de signe, elle comprend.
*****
« Pourquoi est-ce que je dois donc placer le drain ainsi et pas en biais ? » Peter regarde ses internes dans sa blouse blanche fraichement acquise. Il a 26 ans, et il prend un malin plaisir à regarder sous ses yeux frétillaient ses .. internes. Oui, il est maintenant résident et plus interne. Et qu’est-ce que c’est bon. Il était à leur place et il sait à quel point c’est stressant. C’est la ronde du matin, et ils ont tous l’air de n’avoir dormi que vingt petites minutes. L’internat, que de bons souvenirs. Il sourit puis d’un coup, reprend un visage fermé.
« Anderson peut-être ? » D’un coup, l’espèce de tas que formé les internes au bout du lit se divise en deux, laissant une vue dégagée sur une interne qui se cachait derrière. Pas de chance, aujourd’hui, elle est dans le service où se trouve Dr. Mayfield. Et Dr. Mayfield aime bien poser des questions.
« Euh.. » Peter fait comme s’il n’entendait rien en se tirant l’oreille.
« Mais parlez-donc plus fort. Je ne vous entends pas. » Silence gêné, aucun interne ne veut se faire remarquer, pire, dilapider en publique. D’une voix plus audible, on l’entend dire :
« Je ne sais pas. » Peter s’esclaffe de rire.
« Vous ne savez pas ? et bien moi je sais ce que vous ferez pendant les cinq prochains jours : mes dossiers. » conclut-il d’un air satisfait. Il quitte la pièce, d’un pas qui montre bien que ouai, lui, il en a fini avec l’internat, aujourd’hui on ne l’appelle plus «le frisé au fond » mais bien docteur Mayfield, c’est comme ça, pas autrement.
« Ca sait mettre un drain mais pour dégrafer un soutif y a plus personne hein.. » elle s’esclaffe en rigolant. Il rougit, mais heureusement, elle ne peut pas le voir, ils sont dans le noir, dans un des nombreux placards de l’hôpital.
« Pff, comment tu pouvais ne pas savoir sérieux, c’est pour pas gêner le patient que je l’ai mis comme ça.. En plus j’t’ai dis hier soir que je poserai cette question aujourd’hui. » dit-il, tout en l’embrassant. Peter Mayfield, fraîchement résident, couche déjà avec ses internes. Mais en même temps, peu d’entre eux peuvent se vanter de n’avoir jamais fait cela. Profiter d’une des jeunes recrues. Des petits oisillons, sortant directement de l’école de médecine.
« Je le savais. C’est pour pas qu’on nous suspecte vois-tu. Faut bien que y ait un de nous deux qui pense à ça. » Il rigole. Elle lui plait bien, après, faire un bout de chemin avec elle.. Une toute autre affaire.
*****
Finalement, à un certain moment, Rodgers s’est réellement pointé dans cette cafétéria avec les dites analyses. Il ne lui avait rien dit. Juste un geste du pouce désignant le bureau du Chef de Chirurgie. Sur ses lèvres, on pouvait lire qu’il disait clairement sans sortir un son « Ramènes tes fesses ». Viré du programme ? Non. Les erreurs médicales arrivent. C’est un résident. Disons qu’il ne pourrait plus aspirer à n’importe quelle carrière dans le monde médicale. La tête baissée, il accepte, parce qu’après tout, il n’a plus envie de toucher un seul patient de toute sa vie. Plus jamais. D’un commun accord, il est alors sorti de l’hôpital, n’y remettant plus jamais les pieds, tout du moins avec une blouse blanche sur le dos.
« Cours d’anatomie 101. Je suis Professeur Mayfield et nous allons nous côtoyer pendant un an. Ce cours est très important parce que connaître votre corps, c’est vous connaître vous, connaître vos forces mais aussi vos faiblesses. » Il pose la craie qu’il utilisait deux minutes plus tôt pour écrire son nom au tableau. Il replace sa veste en tweed et affiche un grand sourire.
« Ca et aussi parce que si vous échouez à ce cours, vous devrez redoubler. »