if you're going through hell, keep going
⊹ but what if just gets worse ? what if it's
agony now and then it's just hell later on ?
*2003, 14 ANS.
En un millième de seconde, j'ai eu l'impression que le monde explosait, et qu'un monstre rugissant sortait des entrailles de la Terre. L'impact a été si brusque que j'ai été projetée en avant que la ceinture de sécurité ne m'arrête et lacère mon abdomen. Une décharge de douleur si violente m'a envahie que malgré l'adrénaline coulant dans mes veines à une vitesse fulgurante, je n'ai pas tout de suite compris ce qu'il s'était passé. En état de choc, j'ai vu de la fumée s'échapper du capot de la voiture, encastrée dans la bordure de sécurité métallique de l'autoroute. Une forme floue se distinguait au loin. Tout ce que je voyais, c'était ce sang, monstrueux, qui dégoulinait sur la partie droite du pare-brise brisé en morceaux. Je ne voyais même plus mon père. Toujours attachée, tremblante et tétanisée, je cherchais sur ma droite la trace de cet homme qui semblait avoir disparu. Je ne voyais que la partie avant de la voiture, écrasée, mâchée, disparate. Et personne. C'est à peine si j'ai remarqué ma mère, qui semblait presque assoupie sur le volant, le visage caché par ses longs cheveux noirs. Elle était peut-être morte, mais cela me semblait si insensé que je ne pouvais m'empêcher de penser à une unique chose : mon père avait disparu.
Les pompiers n'ont pas mis longtemps à arriver. Contrairement au temps qui aurait du me paraître long, aurait dû s'étendre indéfiniment pendant que nous attendions fébrilement les secours, j'avais eu l'impression que tout s'était déroulé bien trop vite. Je ne réalisais toujours pas ce qu'il venait de se passer, et j'étais bien trop choquée pour avoir une notion précise du temps. Tandis que l'adrénaline retombait progressivement, j'étais restée immobile, toujours attachée dans la voiture. Ma mère avait fini par relever la tête, et je l'avais regardée avec des yeux vides, incapable de savoir si j'étais contente de la voir éveillée, ou si la situation me paraissait tout aussi horrible. Je n'étais plus capable d'une quelconque réflexion. Je ne ressentais plus rien, sinon une pression énorme dans mon crâne, et mon cœur qui battait à grands coups.
Lorsque des hommes en uniforme m'ont extraite de la voiture, j'ai réalisé que les secours étaient arrivés. Je les ai laissé me porter, incapable de marcher que j'étais. Incapable de tout. Enfin, quand la foule a commencé à s'amasser autour du lieu de l'accident, j'ai remarqué un attroupement, un peu plus loin. Puis ma mère, à mes côtés. Et toujours pas mon père. Quand j'ai réalisé la signification de la civière surmontée d'un long sac noir, cela ne m'a pas frappée tout de suite. Pendant un quart d'heure, j'étais restée prostrée dans la voiture, espérant que cette histoire allait s'estomper, que ce n'était pas réellement en train d'arriver, ou du moins que quelqu'un allait nous sortir de là et que nous irions tous bien. Et puis, soudainement, cela m'a frappé. La réalité. La mort. Un homme s'est avancé vers nous, les mains croisées, une expression indéchiffrable sur le visage. Il n'a même pas eu besoin d'ouvrir la bouche pour qu'en une seconde, je comprenne ce qu'il venait de se produire. Moi qui m'étais désespérément persuadée que cela ne pouvait pas m'arriver, ne pouvait pas nous arriver, trouvait toutes mes certitudes bousculées en un instant.
Ça n'était pas possible. C'est ce que je me mis à hurler en me frappant la tête contre le camion de pompiers.
Ça n'était pas vrai. J'allais implorer, supplier, crier, et cela disparaitrait. De temps à autre, je cessais de geindre et me redressait, m'auto-persuadant que ça n'était pas vraiment en train d'arriver, qu'il était inutile de pleurer.
Ça n'était pas réel. J'avais des yeux de folle, je me parlais à moi-même. Et puis je replongeais, serrée dans les bras de ma mère.
Encore.
⊹ ⊹ ⊹2004, 15 ANS.
‘‘Lorsque tu te lèves le matin, quels sont les premiers sentiments que tu éprouves ?’’‘‘Toujours pareil. De la haine pour celui qui a percuté notre voiture et qui a tué mon père. Et de la rage envers moi, pour avoir été incapable de réagir et être restée tétanisée alors que j'aurais peut-être pu sauver mon père.’’‘‘Qu'est-ce qui t'a donné la force d'avancer, cette année ?’’‘Pas le choix. J'ai essayé de rester cloitrée dans ma chambre, mais au bout de deux jours, je me suis rendue compte que je ne pouvais pas continuer. J'ai juste pas le choix. La vie continue. Ça passe. C'est ça, le pire. J'aurais préféré ne jamais m'en remettre. Parce que cette double culpabilité, c'est atroce. J'ai été infoutue d'aider mon père, et j'ai appris à vivre sans lui. Je mérite pas de pouvoir continuer à vivre tranquillement, des fois j'en ai pas envie. Et pourtant j'ai pas le choix.’’
everything that drowns me makes me wanna fly
⊹ everything that kills me makes me feel alive.
*2009, 20 ANS.
Le jour où elle reçoit son diplôme de licence en biologie est enfin arrivé. Souriante dans les bras de sa mère, elle attend déjà avec impatience de franchir les portes de la Medical School de San Francisco qui viennent de s'ouvrir devant elle. Elle habite plus à l'intérieur du pays, mais la réputation de la MS de San Francisco l'a orientée dans son choix. Mais pour l'instant, elle profite encore des moments qu'elle peut partager avec sa mère, avant que la compétition acharnée qui l'attend ne commence. Et qu'elle se retrouve définitivement seule.
Genesis a étonnamment bien surmonté l'épreuve qu'a été le décès de son père. Non qu'elle ait réussi à se départir du souvenir de cette horrible journée, mais elle a appris à faire avec. A essayer de ne pas trop culpabiliser. Et à avancer. Elle estime s'en être plutôt bien sortie, étant donné ses derniers résultats. Mais au fond, elle se hait toujours autant d'avoir été faible à l'époque. C'est en partie pour cela que la fac de la médecine l'a attirée, et qu'elle est même très attirée par la traumatologie. Apprendre à réagir vite, à prendre des décisions sous le coup du stress. A sauver des vies, même si celle de son père ne l'a pas été. Il serait facile de voir cela comme une certaine manière d'expier sa faute, et surtout, de changer ce qu'elle déteste tant en elle : cette fragilité et cette peur de l'inconnu.
Le traumatisme que Genesis a subi ne l'a pas changée du tout au tout. Si, pendant plusieurs mois, elle restait enfermée dans sa chambre et ne voyait personne, trop effrayée qu'elle était par le silence et les grands espaces, elle a peu à peu réussi à dépasser cela. Elle a compris qu'elle devait continuer à vivre. A la fois pour elle, parce qu'elle n'avait pas le choix, mais aussi pour son père. Faire quelque chose dont il aurait été fier, et ne pas gâcher son avenir. Souvent, trop souvent, elle s'écroule sous la culpabilité lorsqu'elle réalise qu'il lui arrive d'être heureuse alors que son père est mort. Elle oppose son bonheur futile à la mort, et cela l'achève. Quoi qu'elle en dise, et peu importe combien elle a réussi à se construire un avenir, elle reste détruite. De l'intérieur.
⊹ ⊹ ⊹2011, 22 ANS.
A la fac, elle est presque naturellement sortie de la carapace d'indifférence qu'elle s'était forgée, pour éviter de souffrir davantage. Du moins, en apparence. Elle a bien été obligée de côtoyer d'autres étudiants pour ses travaux, s'est fait des amis, en a observé d'autres pour pouvoir toujours essayer d'être meilleure, et s'est finalement prise au jeu de la compétition. Elle aime devoir se dépasser toujours davantage, devoir se montrer inventive et même parfois manipuler les autres. Cela la fait rire, parce qu'elle sait que ce n'est que temporaire, et que tout le monde s'y adonne de toute manière.
Elle s'est découvert un côté proprement cynique qui lui a permis de se faire une place dans le milieu de la fac où l'anonymat est la situation générale. Elle ne pouvait rester éternellement timide et renfermée, au risque de se faire bouffer par les ambitieux étalant leurs intentions sans vergogne, et n'hésitant pas à user de coups bas pour éliminer les autres. A son tour, elle s'est alignée et a commencé à s'imposer par son côté caractériel et mystérieux, pouvant se montrer souriante et rieuse, et ne plus adresser la parole à personne le lendemain. En réalité, elle a cessé de se poser des questions, de calculer comment elle devait réagir, ce qu'elle devait dire ou faire.
Elle reste profondément imprévisible. Et cela s'accompagne d'éternels remords. Elle n'est jamais satisfaite, et regrette la moitié de ses actions.
⊹ ⊹ ⊹2013, 24 ANS.
Genesis a obtenu son diplôme de la Medical School avec des résultats plus que convenables, et s'apprête à commencer son internat au Pacific Medical Center. Elle est toujours aussi compliquée, aussi lunatique, constamment en train de se remettre en cause et de regretter.
Cependant, elle a conscience que si elle vise la traumatologie, elle va avoir intérêt à changer. Devenir plus décidée et plus sûre d'elle si elle veut éliminer les concurrents potentiels. Mais elle est plus motivée que jamais pour exercer dans la traumatologie, encore plus que si cela ne lui était inspiré que par la mémoire de son père. Elle y tient encore davantage, parce qu'elle y voit une manière de se réaliser, et d'enfin changer ce qui l'insupporte tant chez elle.
Elle veut se sentir utile. Elle veut prendre des décisions qui aideront des malades, faire des gestes qui sauveront des vies.
Elle veut se sentir forte.
Trouver une place dans le monde professionnel pour compenser le fait qu'elle soit perdue concernant le reste de son avenir.