La fin d'après-midi était tombée et les rayons du soleil automnal n'allaient pas tarder à disparaître complètement. Assise sur une des balançoires dans un coin du parc, Violet regardait les autres enfants disparaître les uns après les autres par la grande porte de style victorien. Le dîner allait être servi dans moins d'une heure et les éducatrices de l'orphelinat veillaient à ce que les mains soient lavées et les tee-shirts plein de terre changés. Peu à peu, les cris et les rires s'évanouirent et le calme revint dans le grand jardin. Seul le bruit du vent dans les arbres, agitant les dernières feuilles encore accrochées aux branches des vieux chênes pouvait être entendu. Se balançant légèrement, Violet baissa les yeux. Du pied, elle grattait la terre, soulevant quelques feuilles mortes au passage. Ses chaussures allaient être sales, mais cela n'avait plus d'importance maintenant. Pas plus que les plis sur sa robe, la couleur de son serre-tête où les quelques mèches de cheveux châtain qui s'étaient échappées de sa tresse. À cette pensée, les larmes commencèrent à couler le long de ses joues. Des bruits de pas se firent entendre et la balançoire à côté de la sienne grinça doucement.

« Qu'est-ce que tu fais là, toute seule ? » La fillette ne releva pas la tête, elle n'en avait pas besoin pour reconnaître Liam. Le garçon fit un signe de tête en direction du sol. « Tu vas salir tes chaussures si tu continues. » « M'en fiche. » Il eut un petit sourire en coin avant de commencer à se balancer. « Mais non tu t'en fiches pas. C'est ta paire de chaussures préférée, c'est toi qui me l'a dit. » «  Mais ça compte plus maintenant ! Le monsieur et sa dame, ils sont partis ! Et...et moi bah je suis toujours là ! » Violet s’agrippa à la balançoire, alors que ses larmes redoublèrent d'intensité. A ces mots, Liam comprit la raison de son chagrin.  Aujourd'hui un couple était venu adopter un enfant et comme à chaque fois, la brunette espérait de toutes ses forces qu'elle serait choisie. « P-P-Pourquoi c'est jamais moi qu'on veut adopter ? » Sa voix était toute petite et tremblante. Elle frotta ses yeux et inspira un grand coup avant de continuer. « Je comprends pas...j'ai mis mes plus jolis habits, je me suis bien coiffée et j'ai été sage ! Alors pourquoi à chaque fois, les monsieurs et les dames ils préfèrent Anthony et ses genoux plein de terre ! Ou...ou...Judy avec la confiture autour des lèvres ! » Elle tourna ses yeux noisettes rougis par ses pleurs vers le garçon. « Je comprends pas...qu'est-ce qui va pas chez moi ? Pourquoi personne veut de moi ? » « Tu sais, je pense que ce monsieur et cette dame c'étaient pas ceux qu'il te fallait » Il passa une main dans ses longs cheveux, un grand sourire sur son visage. « Et puis, pour moi...bah t'es la plus mignonne des filles d'ici. » Violet baissa les yeux, un petit rire timide s'échappant de sa bouche.

D'un bond, Liam quitta sa balançoire et en lui tirant le bras, obligea Violet à faire de même. « Allez princesse, on rentre, sinon les éducateurs vont s'inquiéter. En plus, avec tes petits yeux touts rouges je suis sûr qu'on peut convaincre le cuisinier de nous donner deux desserts ! » Main dans la main, les deux enfants se mirent à courir en direction de la salle à manger, le sourire au coin des lèvres.

Adossée contre un grand arbre de la cour de l'école primaire, Violet attendait tranquillement que Liam la rejoigne pour qu'ils puissent rentrer ensemble, comme à leur habitude. La cloche annonçant la fin de la journée venait de sonner. Les enfants s'empressaient de sortir pour retrouver leurs parents devant la grille d'entrée. Avec envie, Violet les regardait défiler. Elle qui n'avait jamais eu de famille rêvait d'une maman qui lui demanderait avec empressement comment c'était passé sa journée, ou d'un père qui passerait la main dans ses cheveux alors qu'elle monterait dans sa voiture. Ses pensées furent interrompues par une fillette blonde, des jolies lunettes rouges posées sur son nez. « Tes parents ne viennent pas te chercher ? »

Inconsciemment, Violet se figea. Personne ne lui avait encore posé cette question et elle n'avait jamais évoqué son statut d'orpheline. « Non...ils, euh...ils ne peuvent pas parce qu'ils sont à l'étranger en fait. Papa est en France dans son entreprise et maman est journaliste alors elle voyage beaucoup. » La brunette jeta un coup d’œil à son bracelet avant de continuer d'une voix plus sûre. « Tu vois, ça c'est un cadeau de ma maman. Elle me l'a ramené de Chine. » « Oh, quelle chance ! Je peux voir ton bracelet ? » Elle joua quelques instants avec les perles et les grelots avant de lui rendre en souriant. « Ma mère doit m'attendre, j'y vais. À bientôt ! »

La fillette s'éloigna après un signe de la main. En soupirant, Violet remis son bijou autour de son poignet et se retourna. Liam se tenait devant elle, les bras croisés et un grand sourire plaqué sur son visage. « Alors, on raconte des mensonges maintenant ? » Elle lui tira la langue puis se dirigea vers la sortie de l'école, laissant le soin au garçon de récupérer son sac et courir pour la rattraper.  « Tu aurais aussi pu dire la vérité tu sais. » Violet se mordilla la lèvre et fit un signe négatif de la tête. « Non, je voulais pas qu'elle ait pitié de moi...Tu comprends pas vrai ? A cause de tes parents... » Il n'en fallut pas plus pour couper court aux remarques de Liam. Celui-ci détourna un instant le regard, sûrement plongé dans ses souvenirs de l'accident qui leur a coûté la vie. Il finit par lever les yeux en direction du ciel, un sourire lui mangeant de nouveau la moitié du visage. « Allez, princesse, faut qu'on se dépêche sinon on va louper le bus. » Il lui tendit une main que la petite fille s'empressa de serrer.

Menteuse. Quand Violet repensera à cet instant, des années plus tard, elle réalisera qu'elle souhaitait juste être enviée à son tour. Au moins autant qu'elle enviait les autres enfants pour avoir une famille.

Des fourmillements remontaient le long de sa nuque et une sensation désagréable avait pris place dans le creux de son ventre. Violet pouvait sentir son regard se poser sur elle à chaque fois qu'il terminait de prendre la commande d'un client. Pourtant, ce n'était pas comme si elle avait quelque chose à se reprocher ! D'accord, la jeune fille n'avait pas répondu à son signe de la main, mais ce n'était quand même pas sa faute si Judy avait décidé de lui poser une question à cet instant précis ! Bon, peut-être qu'elle aurait pu s'approcher du comptoir pour lui glisser un bonjour. Seulement, Violet ne voulait surtout pas le déranger ou pire, le déconcentrer. Et puis elle n'allait pas laisser sa bande d'amis alors qu'ils étaient venus tous ensemble boire un café pour se détendre après les cours. Non, vraiment, elle ne voyait pas ce qu'il pourrait lui reprocher. Alors s'il pouvait arrêter de la fixer comme s'il était en colère, la lycéenne lui en serait reconnaissante. C'était Judy qui avait voulu venir ici, et bien évidemment les idées de Judy étaient toujours approuvées. Si seulement un autre café que celui ou Liam travaillait à mi-temps avait été choisi, Violet pourrait tranquillement siroter son Latté Macchiato au caramel. Au lieu de ça, elle se retrouvait coincée sur une banquette en cuir à subir les regards noirs de l'étudiant sous sa casquette de serveur.
...

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La porte de son casier claqua doucement. Réajustant son chignon devant le miroir, son reflet lui adressait son plus beau sourire, celui qu'elle avait développé au fil des années. Celui qui la rendait amicale, serviable, mignonne et attentionnée, qui inspirait la confiance et masquait des blessures derrière un masque charmant. Enfin, elle se tenait là où elle avait toujours voulue être. L'hôpital de San Francisco, avec ses blouses blanches et son labyrinthe de couloirs qui dans quelques semaines n'aura plus aucun secret pour elle. Elle avait réussi, son année d'internat représentant la première marche vers son rêve : devenir enfin quelqu'un, une chirurgienne renommée et reconnue.

Lissant une dernière fois sa blouse, Violet se dirigea vers l’accueil de l'hôpital afin de trouver plus rapidement son chemin vers son futur service, souriant à tout ceux qui croisait son chemin. La jeune femme n'avait jamais eu de mal à s'intégrer, ni à se faire apprécier et cet endroit ne fera pas exception à la règle. Elle s'apprêtait à monter dans l'ascenseur lorsqu'un rire attira son attention. En une seconde elle le reconnut : sa silhouette, sa voix et sa façon de se tenir lui était encore trop familières même après trois ans de séparation. Liam se tenait à quelques mètres d'elle, dans sa blouse de résident, discutant joyeusement avec une femme, sûrement une autre résidente. En voyant cela, Violet ne put contrôler la bouffée de jalousie qui noua sa gorge. Ne t'approche pas de lui, ne me vole pas ce qui m'appartient, voilà ce qu'elle aurait aimé dire mais les mots restèrent bloqués et elle se détesta le moment même où il lui virent à l'esprit.

La nouvelle interne s'apprêtait à détourner le regard lorsque les yeux de Liam se levèrent dans sa direction. Prise de panique, elle fit brusquement volte-face et s'engouffra dans un ascenseur. Une fois les portes fermées, un soupir de soulagement lui échappa. Mais pourquoi avait-il fallu qu'elle le retrouve ici, avec tout les hôpitaux et cliniques que San Francisco devait abriter ? Face au miroir, Violet remarqua que son visage était pâle. Elle se frotta doucement les joues pour le redonner un peu de couleur. Personne n'aimerait avoir l'air malade pour son premier jour de travail. D'une main légèrement tremblante, elle remit une mèche de cheveux derrière son oreille. Elle ne s'attendait vraiment pas à revoir son ami d'enfance ici...Et puis à quoi bon se mentir ? La jeune femme était seule dans cet ascenseur. Ce n'était pas un secret que Liam était à San Francisco. Peut-être que justement, en venant ici, elle espérait le revoir.

Pathétique. Tu es pathétique, songea-t-elle, alors que les étages défilaient. Avec tes grands airs et ta prétendue confiance alors qu'il suffit d'un regard pour te faire perdre tes moyens. En se mordant les lèvres, Violet s'adossa contre le mur de l'ascenseur. Cette année s'annonçait moins facile que prévue finalement.