Ce matin la, Sophia était particulièrement de mauvaise humeur, et pour cause : elle n'avait pas beaucoup dormi, ayant terminé une garde très tard dans la nuit la veille. Ce rythme qu'avaient tous ceux qui travaillaient à l'hôpital était éreintant, surtout pour les internes, qui ne s'y étaient pas encore habitués. La fatigue était donc un des facteurs ayant rendu Sophia très irritable ce jour-ci, mais elle n'était pas le seul élément jouant sur son humeur. Alors qu'elle avait été placée depuis le début de la semaine en neurologie, son secteur de prédilection, la jeune interne avait été bippée par un autre médecin, manquant de ce fait une opération à laquelle le docteur Slessor lui aurait permis d'assister. Lorsqu'elle avait vu le nom « Barclay » s'afficher sur son bipper, Sophia avait eu un léger moment d'hésitation. Elle connaissait ce nom, c'était évident. Elle n'avait jamais eu à travailler avec cette fameuse Barclay, mais elle savait que le docteur Slessor ne la portait pas forcément dans son coeur. Beaucoup semblaient se moquer de la chirurgienne, sans que Sophia n'ait jamais réellement compris pourquoi. Elle n'avait entendu à son sujet que des rumeurs, et ne faisaient pas partie de ces gens qui se fiaient uniquement à ce qu'ils entendaient. Peut-être aurait elle des réponses ce jour la, puisqu'elle serait forcée de travailler avec elle.

Lorsqu'elle déboucha enfin dans le service de traumatologie, Sophia se lança dans le couloir, cherchant des yeux la couleur caractéristique de la blouse des titulaires. Elle ne parvenait pas encore à mettre un visage sur le nom de Barclay, mais elle trouverait forcément quelqu'un pour la renseigner. Après tout, elle n'était qu'une interne, et n'était pas censée connaître par coeur tous les visages de l'hôpital. « Excusez moi ! » demanda-t-elle à une infirmière passant par la, l'arrêtant quelques secondes dans sa course. « Savez-vous où est-ce que je pourrais trouver le docteur Barclay ?  ». Visiblement plutôt pressée, l'infirmière lui indiqua le fond du couloir d'un bref geste de la main, et fila avant même que Sophia ait pu lui demander plus de détail. La jeune femme hésita un instant, puis se lança dans la direction indiquée. Elle finirait forcément par tomber sur cette fameuse Barclay, de toute manière. Au loin, l'interne crut apercevoir un titulaire, et elle accéléra le pas. Ce ne fut que lorsqu'elle arriva à une vingtaine de mètres qu'elle eut un choc, qui faillit bien la stopper dans sa course. Et merde. En l'espace d'une seconde, Sophia comprit beaucoup mieux pourquoi est-ce que le nom lui disait quelque chose. La personne qu'elle tentait à tout prix d'éviter depuis deux mois se trouvait juste devant elle. Et elle allait devoir travailler avec elle, en plus de cela. Lâchant un bref soupir, Sophia se retourna un instant dans le couloir. La titulaire ne semblait pas l'avoir encore vue, et elle avait donc quelques secondes pour se préparer mentalement à l'aborder. Elle n'avait décidément vraiment pas de chance. Lorsqu'elle était arrivée à San Francisco, une grosse semaine avant le début de son internat, la brune en avait profité pour faire un tour des bars de la ville, histoire de repérer les lieux. Elle y avait fait quelques rencontres intéressantes, dont notamment celle d'une très jolie brune plus âgée qu'elle, avec qui elle avait passé la nuit. Ce n'était qu'en arrivant à l'hôpital pour son premier jour que Sophia avait réalisé que sa conquête y travaillait également, au poste de titulaire. Pendant les deux précédents mois, elle avait passé son temps à l'éviter le plus possible, mais ne s'était jamais renseigné sur son nom. Elle se rendait désormais compte de son erreur, car la titulaire avec qui elle allait passer la journée, Barclay, s'avérait bel et bien être la jolie brune du bar. Cruauté du hasard.

Prenant une grande inspiration, Sophia se décida à rejoindre le docteur Barclay, et se retourna pour reprendre sa course. Essayant d'adopter une démarche assurée, la jeune femme leva fièrement le menton, bien décidé à ne rien laisser paraitre. Elle ne connaissait pas le docteur Barclay, la rencontrait officiellement pour la première fois, et surtout : elle ne l'avait jamais vue nue. Si seulement. Au fur et à mesure qu'elle s'approchait, Sophia sentait son assurance faiblir, mais elle tint le coup. Ce n'était pas le moment de perdre son sang-froid. Elle avait toujours été une jeune femme plutôt réfléchie, dont la faiblesse était la colère, et non la peur. Elle ne se dégonflerait pas, quitte à aller gueuler un grand coup devant l'hôpital à la fin de la journée, histoire de se délivrer de la frustration d'avoir encore été mise dans une situation gênante. Voyant que la titulaire se plongeait dans la contemplation d'un de ses dossiers, Sophia arriva finalement à sa hauteur, et lâcha d'une voix presque impassible. « Docteur Barclay ? Vous m'avez bippée ».