Les rayons du soleil matinal vinrent lécher la peau de la jeune femme, encore paisiblement endormie. Un courant d'air s’immisça par la fenêtre entrouverte et la fit frémir, soulevant enfin une paupière endormie. Elle lâcha un bruit inaudible tout en relevant imperceptiblement la tête, avant de la laisser retomber sur les draps blancs. C'était la première fois depuis longtemps qu'elle se réveillait de manière naturelle, sans qu'elle ne sursaute en entendant le stridulement désagréable de son téléphone. Malgré ça, elle n'aurait pas dit non à quelques minutes de sommeil supplémentaire. Sa main gauche s'étira le long des draps, à la recherche d'un corps pour l'arrêter, mais elle resta sans prise. Relevant cette fois pour de bon la tête, Eirene étouffa un bâillement tout en balayant la pièce des yeux, à la recherche d'Elijah. Elle eut aussi tôt fait de le repérer, assis par terre à la limite du lit, le visage face à sa fenêtre et à la légère brise qui s'y engouffrait. Parfois, elle avait l'impression d'être une larve à toujours traîner au lit les rares - très rares - jours où elle en avait l'occasion, alors qu'il était toujours levé avant elle. Mais en fait de compte, il n'était pas parti bien loin cette fois-là. Enroulée dans les draps, elle se glissa plus près de lui avant de passer sa main gauche sur sa joue, dessinant la forme de sa mâchoire. Il avait ce visage carré et sculpté qui lui avait toujours plu, qui dégageait un charisme fou. Elle ne pouvait pas dire qu'il était l'homme de sa vie - ils étaient tellement différents, quand elle prenait la peine d'y penser - mais ces derniers mois, elle devait avouer que le fréquenter lui avait vraiment fait du bien. Sans lui, son année d'internat lui aurait parue encore plus difficile, et l'arrive récente de sa sœur, complètement invivable. Heureusement qu'il lui permettait de se changer les idées, lui qui avaient toujours une montagne d'idées de choses à faire, toujours plus nouvelles les unes que les autres.

Mais son insouciance avait quelque chose qui la dérangeait. Elle savait qu'elle pouvait lui faire confiance, bien sûr, mais elle avait ce manque constant de confiance en elle qui la faisait souffrir dès qu'elle interprêtait trop rapidement ce qu'elle voyait ou entendait. Elle avait conscience qu'Elijah était trop gentil, trop sociable, et surtout trop charmant, pour que personne d'autre ne lui tourne autour. Il lui était arrivé quelques fois de sérieusement se faire du mal en pensant à la possible situation où il la laisserait seule du jour au lendemain, lui assenant des critiques et des reproches qu'elle ne saurait supporté. Elle psychotait, mais ne pouvait s'en empêcher. Cette peur constante d'être abandonnée, qu'elle tentait par tous les moyens étouffer, finissait toujours par ressortir, peu importe qu'elle soit dans une période où elle se sentait bien ou non. Elle refusait catégoriquement d'y voir là les symptômes de ce dont lui avait plusieurs fois parlé Ian, mais elle avait conscience que ces doutes la minaient, et qu'elle était incapable de s'en détacher malgré toute la bonne volonté du monde. Alors, certains soirs, il lui arrivait de faire quelques remarques déplacées à Elijah, où une jalousie amère se faisait ressentir. Bien entendu, elle les regrettait instantanément, mais ne pouvait se calmer tant qu'il ne lui avait avait pas répondu et ne l'avait pas rassuré. Elle savait que chacun de ses remarques l'éloignait un peu plus d'elle - déjà qu'elle se demandait bien ce qu'il pouvait lui trouver - alors elle tentait de se contenir au maximum. Mais parfois, c'était tellement plus fort qu'elle.

Cependant, certains matins comme celui-là, et la plupart des matins heureusement, elle se réveillait sans se soucier encore de ces problèmes. S'approchant encore plus du bord du lit, elle colla alors sa bouche à l'oreille d'Elijah, non sans manquer de laisser sa main droite parcourir le cou du jeune homme, et lâcha dans un murmure taquin. « Le lit n'est pas assez agréable à ton goût ? » Ce n'était pas sérieux entre eux. Mais c'était léger, et la légèreté était tout ce à quoi elle pouvait aspirer en ce moment ; ce qui lui permettait d'effacer ses tourments quotidiens pendant quelques précieux instants qui lui rappelaient qu'elle était jeune, et qu'elle n'avait pas à s'alourdir les épaules avec un trop lourd fardeau d'adulte.

C’était un matin calme, silencieux. Un matin frais, mais ensoleillé. Assis sur le sol, le dos contre le lit, Elijah faisait face à la grande fenêtre qu’occupait l’un des murs de sa chambre. De temps à autre, il fermait les yeux et laissait la douce brise du vent voyager sur sa peau nue – sur ses joues, ses bras, son torse. Il pouvait entendre le fin sifflement du vent passer par les carreaux, qui accompagnait la respiration calme de sa douce, toujours endormie, à quelques centimètres de lui. Elijah affectionnait particulièrement ce genre de matin, où Eirene ne quittait pas son appartement en trombe, à la course, en direction de l’hôpital. Où, plutôt, il pouvait l’admirer dormir, puis passer du bon temps avec elle. Avant qu’il ne la rencontre, Elijah n’avait pas été en couple depuis un bon moment. Il avait toujours eu de la difficulté à s’adapter à une nouvelle relation de couple. Ce n’est pas qu’il devait se convaincre que c’était une bonne chose, ou que c’était ce qu’il voulait, non. Elijah devait plutôt se concentrer à chasser de mauvais souvenirs qui lui revenaient sans cesse. Les premières semaines étaient donc toujours plus difficiles à vivre, surement autant pour lui que pour sa compagne, mais son engagement et sa sincérité lui permettaient de passer au travers de cette étrange phase. Cette fois-ci, ce fut plus facile. Eirene dégageait quelque chose qui facilitait les choses au jeune homme. Les images qu’il revoyait se faisaient moins présentes, moins agressantes et torturantes. Il avait pu davantage profiter de ce début de relation.

Elijah ouvra doucement les paupières. Elle était réveillée, il le savait par le son des mouvements des draps. Délicatement, ses fins doigts vinrent caresser sa joue. Elijah déposa sa main sur celle de sa copine, qui s’approchait un peu plus de lui. Il pouvait à présent sentir son souffle contre sa peau et ses doigts parcourir sa mâchoire, son cou. «Le lit n'est pas assez agréable à ton goût ?» Elijah sourit. Il était rare qu’il fasse la grasse matinée dans son lit, il préférait la laisser dormir. Elijah  tourna doucement son visage vers celui de la jeune femme, cherchant ses lèvres sur lesquelles il déposa un baiser. «Non, c’est qu’il est plus agréable quand tu es réveillée» dit-il, suivit d’un petit rire. Il se leva et rejoint Eirene sur le lit, où, à l’aide de ses bras, il la glissa doucement au centre du lit. Il s’installa, une jambe de chaque côté des siennes et appuya l’un de ses avant-bras contre le matelas. De l’autre main, il caressa doucement ses boucles dorées, puis sa joue, avant de l’embrasser tendrement. «Tu as bien dormi?»

C’est comme si ce qu’il vivait, ce matin-là, était trop beau pour être vrai. Ses lèvres s’éloignèrent doucement, à contrecœur, de celles d’Eirene. Ses paupières s’ouvrirent lentement, aveuglé par les rayons du soleil qui brillaient sur les joues de la jeune femme.  «Plus que bien.» Elijah sourit, alors qu’elle laissait ses petits doigts voyager sur son dos. Il était du même avis que celle-ci, il se sentait bien, pour une fois. Non pas qu’il était rare qu’il ressente ce genre de sentiment en présence de sa copine, cette fois, c’était plutôt l’intensité du moment, sa douceur, qui l’atteignait à ce point. Entre les hauts et les bas de leur relation, les petites disputes de quelques heures et les malentendus, ils arrivaient à être simplement heureux, ensemble. La tête dans son cou, elle lui dit, tendrement : «Tu bosses aujourd'hui ?» Il devait bosser, oui. Toutefois, plus tôt, alors qu’il attendait que la belle se réveille, il avait reçu un message de l’hôpital, l’avisant que son seul rendez-vous de la journée était annulé.  Étant donné qu’il s’agissait d’un patient actuel de l’hôpital et qu’il n’était pas en état pour le rencontrer, leur rencontre était reportée au lendemain. C’est le genre de bonne nouvelle qu’Elijah appréciait, particulièrement lorsque sa douce était elle aussi en congé. Subitement, alors que le jeune homme allait lui répondre, la jeune femme lança, sur un ton enjoué : «On pourrait aller à la plage ?» Il afficha un sourire, une fois de plus. Il adorait l’air enfantin qu’elle prenait lorsqu’une idée lui venait en tête. N’étant pas du genre à prévoir les choses, préférant vivre au jour le jour, par expérience d’avoir créé des projets qui n’ont point pu se réaliser, Elijah affectionnait cet aspect de la personnalité d’Eirene. Il voulut en profiter quelques instants de plus… Il caressa la joue de la jeune femme d’une main, et lui dit, tout bas : «En fait, je dois bientôt partir, j’ai plusieurs rendez-vous l’un à la suite de l’autre… Je suis navré.» Elijah affichait un visage des plus sérieux. Jouer la comédie était d’une facilité pour lui. «Fais-toi porter malade, allez. Dis-leur que... le repas d'hier midi à la cafet t'as intoxiqué ?» Il explosa de rire. C’est vrai que c’était une excuse très réaliste, puisque parfois, les repas de la cafétéria de l’hôpital laissaient vraiment désirer. «Crois-moi, tu veux me voir dans mon nouveau maillot de bain.» Elle se faisait convaincante, la petite blonde. Il voyait bien la déception dans les yeux de la jeune femme, donc il stoppa son petit jeu à cet instant. Elijah prit son visage entre ses mains, approcha son nez du sien, et dit : «Mon unique rendez-vous de la journée est annulé, c’est ton jour de chance!» Il sourit, l’embrassa et ajouta : «Hum hum, notre jour de chance, je veux dire!» Il déposa un baiser sur son front, puis sur son nez, un sur son menton et finalement, sur ses lèvres à nouveau. «Aller à la plage est une excellente idée, et puis, comment dire non à ma merveilleuse petite amie en maillot de bain?» Il lui fit un clin d’œil et se leva du lit. «Plus tôt on part, plus de temps nous aurons pour profiter de cette journée, qu’en penses-tu? Je pourrais nous préparer un petit dîner à apporter avec nous? Le frigo est plein.» Quand il était question de partir à l’aventure – ou seulement pour une heure, Elijah était toujours prêt, la tête pleine d’idées.