«  Est-ce que c’est grave ? ». Jax réprima à peine le sourire qui tirait le coin de ses lèvres tandis que son jeune patient le regardait avidement, à croire que les prochains mots à sortir de sa bouche allaient avoir un impact sans précédent sur le monde. Jax souleva la compresse qu’il tenait contre le bras du jeune homme et pris un air de contemplation. «  On est passé pas loin de l’hémorragie mais je pense qu’on va s’en sortir » dit-il d’un faux ton sérieux en contemplant la fine coupure qui avait cessé de saigner depuis bien longtemps.  Il n’était pas aussi drôle qu’il le pensait s’il fallait en croire le regard que lui rendait l’adolescent, et Jax ne pu retenir son amusement plus longtemps. « Ce n’est rien, tu n’auras même pas de cicatrice pour impressionner les filles » continua-t-il en rangeant son matériel. « Fais plus attention la prochaine fois » acheva-t-il en désignant d’un coup de menton le skateboard abandonné un peu plus loin. Un grognement intelligible lui fit réponse et Jax secoua la tête, amusé. La journée avait été plutôt calme. Pas de grands blessés, pas de course poursuite affolée au cœur de la ville, un uniforme toujours immaculé sur les épaules, Jax avait hâte de rentrer chez lui retrouver sa petite famille. Son enthousiasme fut bien vite brisé en voyant la voiture familière garée devant son garage. Super, il ne manquait plus que ça. A peine la porte d’entrée franchie, Jax pouvait entendre le rire lourd de son frère aîné. Il s’accroupi un instant pour caresser son chien qui était venu l’accueillir, une excuse minable pour retarder un peu plus l’inévitable. Il entra finalement dans le salon et trouva sa femme dans un fauteuil, leur fille de 18 mois dans les bras, faisant face à Josh qui le regardait prudemment. « Josh » entama-t-il d’un ton sec. « Qu’est-ce que tu fais ici ? ». L’interpellé feigna la surprise, comme s’il ne pouvait comprendre l’origine de cette hostilité et Rachel eu le bon sens de ramener la conversation sur elle. «  Il voulait voir sa nièce, Jax » expliqua-t-elle et Jax ne put retenir un rire amer. « Ton sens de l’orientation s’est dramatiquement détérioré s’il t’a fallu 18 mois pour trouver la maison ». Josh soupira, lui lançant un regard qu’il ne connaissait que trop bien. Celui qui voulait dire arrête de te comporter comme un gamin, petit frère. « Si tu es venu pour réclamer de l’argent, tu as encore plus de culot que je ne le pensais». Pourquoi tourner autour du pot. Josh se leva, se débarrassant enfin de son extérieur calme et innocent. « Je ne suis pas venu pour ça ! Je te l’ai dit la dernière fois, j’ai arrêté mes conneries! ». Jax avait d’abord cru à un problème de drogue. La réalité avait été bien moins effrayante, mais tout aussi problématique. Josh était un joueur compulsif et écoulait tout son argent dans des paris et autres jeux de cartes. Plus d’une fois il était venu ramper aux pieds de son frère pour que celui-ci le sorte du pétrin. Jax avait cédé, après tout c’était de son grand frère qu’il s’agissait et ils avaient toujours été proches. Tout avait changé le jour où un homme peu recommandable était venu taper à sa porte et l’avait menacé, le prévenant que si son frère ne payait pas ses dettes, il allait avoir de gros problèmes. Jax avait signé un chèque à son frère avec la promesse que c’était la dernière fois, il n’allait plus être entrainé dans ses magouilles. Sa femme était enceinte, il venait d’acheter une nouvelle maison pour accommoder sa nouvelle famille et ce n’est pas son salaire d’ambulancier qui rendait la chose facile. Ils avaient eu des mois difficiles où l’argent se faisait maigre pendant cette période, et il était hors de question que Jax se retrouve dans cette situation une nouvelle fois. « Et je t’ai dit que dès que je le pourrais je te rembourserais chaque cent-- ». Jax leva une main pour le faire taire. Des promesses. Après quelques secondes de silence, Rachel se leva «  Je dois changer Cassie. Josh tu restes pour diner ? ». Ce dernier posa son regard sur son frère, et il dû trouver la permission qu’il cherchait puisqu’il hocha la tête. Bah voyons.  




« Papaaaa ! ». Elle avait ce ton qui signifiait que ça faisait un bon moment qu’elle cherchait à attirer son attention. C’est finalement la petite main martelant son épaule qui eu pour effet de ramener Jax au moment présent. Il se passa une main sur le visage dans un vain effort pour en chasser la fatigue et saisie sa fille sous les bras pour la poser sur ses genoux. Cette dernière, ravie d’avoir enfin toute l’attention de son père sur sa petite personne, s’empressa de lui mettre son dessin sous le nez et lui expliquer chaque détail avec toute la cohérence d’un enfant de quatre ans. « Et ça qu’est ce que c’est ? » demanda Jax en pointant un des personnages. « C’est un pansement ! J’avais un bobo et toi tu m’as soigné ! » s’exclama-t-elle, outrée que ses compétences artistiques ne parlent pas d’elles même. Jax entoura ses bras autour de sa taille, son menton posée délicatement dans le creux de son épaule. « Quoi ? Tu veux dire qu’un bisou magique ne suffit pas ? ». Cassie secoua la tête et soupira dramatiquement. « Non ! C’est pour les bébés ! ». Jax laissa échapper un rire. Sa fille lui fit écho quand il chatouilla ses côtes. « Mais tu es mon bébé! » répondit-il alors qu’elle essayait déjà de se défaire de son étreinte en gigotant de gauche à droite. Il déposa un bisou bruyant sur sa joue et la laissa filer tandis qu’elle clamait haut et fort qu’elle était une grande fille maintenant. Le sourire de Jax resta fixé sur son visage jusqu’à ce que la petite silhouette disparaisse au détour d’un couloir et que ses soucis lui reviennent en pleine face. Mais à peine lâcha-t-il un soupir que le canapé s’affaissa sous le poids de sa femme qui se laissa tomber à ses côtés. Jax ferma les yeux et laissa sa tête basculer en arrière, pas le moins du monde enclin à engager une quelconque conversation. Pas ce soir. Pas après les derniers jours qu’il avait passé. Sans grande surprise, le silence fut vite brisé. « Dure journée ? ». Il hocha la tête. « Tu veux en parler ? ». La voix lui semblait bien plus proche et en effet, quand il ouvrit les yeux, le visage de Rachel n’était plus qu’à quelques centimètres du sien. Il n’était pas rare que les longues heures de travail et le stress des urgences affectent son moral et il fut un temps où il se laissait bercer par le corps de sa femme contre le sien en lui avouant cette vie qui lui avait glissé entre les mains avant qu’il ne puisse atteindre l’hôpital. Aujourd’hui, la requête eu envie de le faire rire. Le genre de rire que l’on distingue mal d’un sanglot. En parler ? Quelle conversation intéressante cela ferait. Comme s’il pouvait lui expliquer la douleur de voir Scotty mettre un terme à leur relation, expliquer l’angoisse que l’ultimatum du docteur lui avait procuré, expliquer la colère qu’il avait ressenti. Comment Scotty pouvait-il lui demander une chose pareille ? Choisir ? Ce n’était pas un choix ! Jax ne pouvait tout simplement pas ruiner la stabilité de sa famille, forcer sa fille à subir les désagréments et l’angoisse d’un divorce, faire souffrir sa femme qui n’avait rien fait de mal. Jax aimait Scotty et lui faisait savoir, n’était-ce pas là suffisant ? Tout allait bien entre eux, pourquoi a-t-il fallu qu’il ruine tout. Jax sentit une main se glisser dans ses cheveux et le geste intime lui retourna l’estomac. Une vague de culpabilité le submergea. Il était un mari infidèle et un amant égoïste. Il venait de perdre Scotty et risquait de perdre le reste s’il ne revenait pas sur le droit chemin. Oui mais le pouvait-il ? Jax aurait pu prétendre et saisir l’occasion comme l’opportunité de reprendre de zéro, se racheter auprès de sa femme, mais ça n’allait pas être aussi simple. Il avait aperçu Scotty ce matin. Le temps d’amener un patient dans l’hôpital, il avait juste eu le temps de l’apercevoir un moment, en pleine discussion un peu plus loin. Il souriait, sa posture détendue et ses gestes amples tandis qu’il se montrait assez familier avec l’infirmier face à lui. La vague de jalousie aurait presque paralysé Jax s’il n’avait pas eu à tenir une perfusion au dessus du brancard qui se frayait un chemin jusqu’à la salle d’opération. C’est la mâchoire serrée et le cœur lourd qu’il avait rejoint au plus vite l’ambulance. Ça n'avait pas d'importe, la situation restait la même. Il fallait passer à autre chose. Il le fallait. Jax soupira et saisie la main libre de Rachel avant d’y déposer un baiser. « Je suis épuisé, je vais  me coucher ». Elle le laissa partir sans rien dire et Jax lui en fut plus que reconnaissant.