Et de vingt-et-une ! 21 longues heures aux urgences, 5 poly traumas, trois overdoses, un accouchement surprise, 7 intubations, 4 morts, 8 cafés, et  deux  heures de sommeil dans le canapé de la salle des titulaires. Un vrai plaisir, un parcours de santé, un petit marathon de relaxation les urgences.  Mais entre les gardes et ses heures de service habituelles, Amanda enchainait sans trop s’en rendre compte ; l’adrénaline du milieu, la pression du bon choix, les heures passaient sans qu’elle puisse les voir et elle passait de patients en patients, de vies en vies, de vies en morts parfois. Si elle n’avait qu’un regret à exprimer concernant son poste aux urgences, c’était qu’il n’y avait pas réellement de suivis de patients ; les cas les plus graves terminaient en chirurgie ou en soins intensifs ; les urgences étaient un moulin où l’on entrait et sortait. Bien sûr, cela permettait un contact avec la médecine plus dynamique que jamais (sauf quand il s’agissait d’une épidémie de gastro, comme en ce moment) et demandait une merveille de don, de courage et de spontanéité (bien sûr, il s’agit là d’un avis parfaitement neutre et pas du tout en rapport avec sa spécialité.)
La titulaire venait d’envoyer un interne faire des points de suture à une vielle dame s’étant coupée après avoir vérifié que la blessure n’était pas trop profonde, surveillait d’un œil attentif les dossiers des résidents qui s’occupaient des arrivées permanentes, des premiers diagnostiques sans oublier d’essayer de trouver un truc à pour distraire le petit groupe d’externes qui étaient là, à observer sans oser rien faire. Elle avait parfois l’impression d’être la seule titulaire du service, en tout cas, en ce moment, car elle n’avait pas aperçu son collègue depuis une heure, après qu’ils se soient occupés d’un petit garçon qui s’était noyé et se remettait maintenant en soins intensifs ; peut-être que l’autre titulaire avait fini sa garde ? Elle ne savait pas, déjà qu’elle avait du mal à se souvenir de ses propres horaires, alors ceux des autres !
Le rythme d’arrivée s’était calmé avec le milieu d’après-midi, mais avec  l’arrivée de la soirée, Amanda savait pertinemment que ça allait être la folie furieuse. Déjà, le son de l’ambulance se faisait entendre et l’accueil  annonça le 6ème poly-trauma de la journée. Voiture contre piéton, un idiot qui avait brulé un feu et s’en sortait bien mieux que la demoiselle qu’il avait heurté.  C’était d’ailleurs cette dernière qui arrivait sur un brancard vers le quel se dirigea le Docteur Carter en pressant le pas tout en observant du coin de l’œil les étudiants intéressés se disputer le cas.   « Qu’est-ce qu’on a ? » demanda-t-elle au secouriste en tout ayant une première vue sur les dégâts conséquents sur la pauvre victime, manifestement à peine adulte et inconsciente. «Monica Lewis, 19 ans. Blessures au cou et à la poitrine, fracture ouverte à la jambe droite et fracture probable au bassin, Glasgow 1 - 1 – 1, pouls 120, tension 5/3 »  le temps que ce petit discours, le plus important quand une personne débarquait par la grande porte des urgences, se fasse, ils étaient déjà dans la salle de trauma, prêts à transférer la blessée.  « A trois. 1, 2, 3 ! Elle a perdu beaucoup de sang, faites descendre 6 poches de O neg, on fait NFS, chimie, iono et gaz du sang, bipez les traumato, on va avoir besoin d’eux, et préparez de quoi faire une radio puis passez-moi le plateau d’intubation, et vite si possible. »  Quand elle était face à une urgence, la douce gentille et compréhensive Amanda se changeait en Docteur Carter, la machine de guerre, c’était l’adrénaline de l’action et de l’impératif qui coulait dans ses veines  et faisait ses qualités dans son domaine. Après avoir intubé la victime et elle jeta un rapide coup d’œil aux diverses blessures de la demoiselle pour établir l’ordre de priorité. La fracture ouverte à la jambe était immanquable, surtout une fois celle-ci dégagée du pantalon et quant à celle du bassin, l’ambulancier avait sans doute raison, mais elle allait attendre l’avis de l’expert. Elle s’affaira à stabiliser l’état de la patiente quand quelqu’un de nouveau pénétra le va et vient de la salle et elle jeta un coup d’œil pour l’accueillir avec un sourire, dans la mesure où elle pouvait s’en permettre un dans un tel endroit « Miracle, les chirurgiens sont arrivés à une vitesse éclair ! »  dit-elle avec une douce ironie, pas méchante, mais dans les gentilles piques éternelles entre urgences et chirurgiens, entre soldats de première ligne et cavalerie, car sinon Amanda n’avait rien de personnel contre le Docteur Lincoln, même si du couple, elle était plus proche de son épouse.  « Ravie que tu sois là Brant, ça va bientôt être la folie aux Urgences, un peu d’aide n’est pas malvenue ! »  dit-elle avant de lui exposer le cas tout en continuant à s’occuper de cette vilaine plaie au cou qui la préoccupait et menaçait l’intubation si elle s’écroulait vers l’intérieur. « J’ai vu ta femme ce matin ! Il parait que ça va plus trop entre vous » oui, elle lâchait ça comme ça, c’était son côté franc, et puis, si les anesthésistes pouvaient parler de nourriture italienne en endormant quelqu’un, elle pouvait bien parler d'histoire de couple en sauvant une vie non ?

« J'ai des places pour les match entre les Lakers et les Nets, ça te tente ? » Un café à la main, Brant écoutait distraitement la discussion entre deux internes à quelques pas de la machine à café. La journée était bien entamée et il n'avait pas été débordé. Il avait même eu le temps de s'occuper de quelques papier qui traînaient depuis bien trop longtemps sur son bureau. Laissant le liquide chaud le revigorer un peu, le chirurgien se laissa emporter dans le torrent de ses pensées. Ça lui arrivait de plus en plus souvent ces derniers temps... Des passages à vide que sa femme avait fini par remarquer et dont elle lui avait fait la remarque alors qu'ils étaient tous les deux au lit. Ça ne lui ressemblait pas d'être aussi tête en l'air, bien au contraire. La raison était toute trouvée et il s'en voulait de laisser ses problèmes personnels avoir un tel impact sur sa vie. Encore heureux, il n'avait encore jamais eu de passage à vide en pleine opération. Jusque là, il s'était toujours arrangé pour mettre un point d'honneur à ne pas mélanger sa vie professionnelle et sa vie personnelle et tout ça, malgré le fait qu'il soit mariée à une femme chirurgienne, une partie de sa famille travaillant dans cet hôpital et qu'il ait eu une relation de longue date avec un autre titulaire. Au final, ce n'était pas vraiment une grande réussite... « Dr Lincoln ? Je crois qu'on essaye de vous joindre... » Les yeux dans le vague, il regarda l'un des internes qui lui montra du doigt son biper. Ce dernier clignotait, ce qui était synonyme d'une urgence. « Merde... Vous êtes libre ? Et bien, vous ne l'êtes plus ! Suivez-moi, on aura sûrement besoin de vous ! » Jetant son gobelet, il n'attendit même pas que les deux autres occupants de cette salle de repos réagisse et il partit au pas de course vers l'ascenseur pour se diriger vers les urgences.

Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent et le chaos des urgences l'accueillit. C'était un endroit qu'il connaissait par cœur, bien qu'il ne soit pas chirurgien urgentiste. Mais ils passaient un nombre incalculable d'heures à être appelé à cet endroit. 90% de ses patients passaient d'abord par les urgences et il allait très certainement pouvoir en rajouter un sur sa liste. Les deux internes sur ses talons, il se dirigea vers une des salles de trauma et fût accueilli par le sarcasme de la maîtresse des lieux, Dr Amanda Carter ! Amanda était une excellent chirurgienne si on demandait l'avis de Brant et c'était une bonne amie du couple Lincoln, bien qu'elle soit plus proche de sa femme. « L'escouade de secours est arrivé ! Je t'ai amené deux internes, au cas où tu n'en aurais pas assez avec les tiens. Qu’est-ce qu’on a ? » Prenant des gants en plastique, il observa l'état de la jeune femme et grimaça en voyant la fracture à sa jambe. Écoutant la rapide description que lui donnait Amanda, il secoua la tête alors qu'il examinait avec plus de précision. « Quand est-ce que les gens apprendront à conduire ? Si on s'y prend assez vite, je devrais gérer facilement la fracture de la jambe mais j'ai bien peur qu'elle ait effectivement une fracture du bassin... » C'étaient des blessures courantes lorsqu'on était victime d'un accident de voiture, des blessures que Brant avait eu à gérer des dizaines de fois depuis qu'il était devenu titulaire. Se retournant vers les deux internes qui ne bougeaient pas, il secoua la tête. « Je ne vous ai pas amené pour que vous restiez planter là, à ne rien faire... Toi, cours ramener de l'O-neg, ça n'arrive pas assez vite et toi, vas booster un peu le personnel pour que je puisse passer une radio le plus rapidement possible ! J'ai besoin de savoir si son bassin est fracturé ou non. » Les voyant sortir de leur torpeur, il avait l'impression de se revoir, il y a quelques années de cela, à se faire engueuler par le titulaire qui était à sa place. L'inconscience de la jeune femme laissait présager qu'elle avait certainement un traumatisme crânien et qu'ils allaient devoir faire appel à un neuro. La question d'Amanda vînt interrompre le cheminement de sa pensée et il fronça les sourcils. Il savait que les deux femmes étaient proches mais il n'aurait jamais pensé que sa femme aurait parlé de leurs problèmes. « C'est elle qui t'a dit ça ? Il n'y a pas vraiment de quoi s'inquiéter, on a juste un petit passage à vide, rien de bien inquiétant. » Il n'avait pas vraiment envie de parler de ça, surtout maintenant mais il était coutumier du fait qu'Amanda aimait travailler en discutant. Et il n'avait pas vraiment envie que les infirmiers qui les aidaient dans leur tâches ne lancent les premières rumeurs, à moins que ce ne soit déjà fait. « Elle a dit quelque chose en particulier ? » Sa curiosité avait été plus forte que tout et de toute façon, un simple coup d’œil à l'infirmière à ses côtés avait suffi pour se rendre compte que dés demain, la moitié de l'hôpital serait au courant des difficultés que traversaient le couple Lincoln...

Elle pouvait sentir que sa remarque avait jeté un froid dans l’ambiance incroyablement joyeuse de la salle de trauma. Mais c’était son côté franc qui s’était exprimé et puis il fallait dire que le Docteur Lincoln, madame, l’avait presque suppliée de parler à Brant. Alors l’occasion s’étant présentée, Amanda l’avait saisie, et même si cela pouvait paraitre un peu maladroit à un tel moment à un tel endroit, elle avait ses raisons, raisons qu’elle donnerait dans...un instant. Elle leva deux doigts pour signifier qu’elle était à lui dans deux secondes, concentrée sur son travail,  le temps d’arranger cette fichue plaie et…voilà qui était fait. Amanda se redressa et laissa son interner suturera tandis qu’elle vérifiait à nouveau la réaction des pupilles et les autres constantes tout en jetant un œil à son second internet, qui ballonnant la patiente, semblait vert de rage d’avoir loupé l’occasion d’une suture intéressante ; il faudrait qu’elle lui trouve quelque chose pour compenser, afin de ne pas donner l’impression d’en préférer  un, déjà qu’elle avait un mal de chien à se souvenir de leurs noms… Par contre elle se remémorait encore très bien ses années d’internats et cette petite guéguerre entre les étudiants, même si cela ferait bientôt 10 ans pour elle (voilà qui n’était pas pour la rajeunir.)  Retournant sur le torse de la victime pour observer les blessures qui y étaient manifestement assez superficielles et palper l’abdomen afin d’éliminer de potentielles hémorragies internes, elle reprit la conversation, en titulaire parfaitement multitâche. « Oui c’est elle ! D’ailleurs, elle l’a fait devant tous mes externes et certaines des infirmières les plus commères du service – ne le prenez pas mal Lydia, mais vous êtes toutes des pipelettes »  dit-elle en lançant un sourire à l’infirmière présente dans la salle qui accusa d’un mouvement de tête amusé, comme si elle reconnaissait ainsi leurs mauvaises habitudes, et puis il était bien connu que circulait entre elles un petit cahier qui réunissait toutes les histoires entre membres de l’hôpital depuis des années, et personne, à part elles, ne savait si il s’agissait là d’une rumeur devenue légende ou d’une réalité.
« J’ai l’impression qu’il n’y a pas d’hémorragie de ce côté, ça donne quoi au niveau de la jambe ? Donc, en fait, je voulais t’en parler avant que tu ne l’apprennes de quelqu’un d’autre, via l’incroyable réseau gossip de l’hôpital, car j’imagine que cela rendrait le tout encore moins agréable et…Oh ! Pas trop tôt ! »  Enfin ils étaient arrivés, tels des super-héros des rayons X, les résidents de radiologie et leurs machines. Il fallut les laisser faire un instant, tout en surveillant que l’était de la patiente, stabilisé pour le moment, le restait, tout en s’éloignant assez pour ne pas prendre une dose de radiation, car tout le monde dans la pièce n’était pas vêtu de plomb comme eux ! Une fois les radios prises et ceux qui s’en occupaient disparus tout aussi vite qu’ils étaient arrivés, il faudrait patienter une poignée de minutes avant de pouvoir consulter les clichés et décider du service dans lequel cette jeune demoiselle allait finir son séjour à l’hôpital. D’ailleurs, Amanda avait déjà fait biper la neuro, depuis qu’on lui avait annoncé le résultat au test de Glasgow d’ailleurs, mais ces derniers n’étaient manifestement pas aussi prompts à l’urgence que les traumato’ ! En attendant il fallait veiller à ce que la patiente ne replonge pas, notamment à cause de l’hémorragie présente au niveau de la fracture ouverte qui nécessitait toutes les pochettes de sang qui étaient accrochées au pauvre cœur meurtrit, avec tant d’autres petites poches de liquides et de fils et de câbles ; pour qui n’était pas habitué, il s’agissait là d’une véritable scène d’horreur. Après avoir vérifié que son interne n’avait pas fait n’importe quoi au niveau de la suture et que l’autre tenait le coup à force de ballonner (il fallait voir le bon côté des choses, ça faisait des avant-bras en béton) elle se rapprocha de Brant pour observer la fracture et continuer leur petite conversation.  « Elle m’a parlé de votre passage à vide, elle se demande d’ailleurs si ce n’est pas de sa faute, quoi faire par rapport à ça - oui, c’était une intervention assez longue et elle a été remarquablement bavarde  - elle a aussi beaucoup évoqué le fait que tu évites le sujet des enfants. » C’était surtout de ça dont la conjointe du Docteur Lincoln avait parlé, car cela semblait être un, si ce n’est le, sujet de discorde au sein du couple. Et si Amanda s’y connaissait en problème conjugaux (après tout elle était séparée depuis tout juste un mois de l’homme avec qui elle avait vécu quatre ans, donc les discordes, elle en avait eu sa dose), pour ce qui concernait les enfants, cela restait une équation à inconnues étant donnée qu’elle savait qu’elle aurait elle-même très peu de chance de réussir à en avoir, elle ne s’était jamais posée la question de si elle désirait forcer le destin ou non. De toute façon, maintenant qu’elle était seule, c’était trop tard pour ça. Néanmoins on ne parlait ici pas d’elle mais bel et bien du couple Lincoln.