Tout a commencé avec un bébé bleu. Une petite fille arrachée à la chaleur du ventre de sa mère. Cette petite fille, c’est moi. Et la première vision que ma mère a eu de moi, c’est un bébé tout bleu. Un tout petit bébé emmené rapidement par l’équipe médicale sans la moindre explication. C’est comme ça qu’on l’a découvert, l’anomalie d’Ebstein, un nom barbare associé à cet adorable bébé que j’étais. Mes parents sont médecins, ils ont vite compris ce que cela voulait dire. J’ai grandi, chouchoutée, ma famille m’a mise dans une jolie bulle toute douce pour me protéger du monde extérieur.  Dès l’âge de 4 ans, j’ai subi une opération du cœur, ma pathologie fatiguait mon cœur et ma santé était en danger, l’opération était la seule solution. Ce fut un grand moment d’angoisse pour ma famille, moi, je ne me rendais pas compte de la gravité de la situation, la seule chose qui me reste de cet épisode est une cicatrice qui débute au niveau du haut de ma poitrine et qui descend sur une bonne vingtaine de centimètres. J’ai toujours été une petite fille enjouée, et ma condition ne changeait rien à ça. A croire qu’inconsciemment j’avais déjà envie de profiter à fond de la vie. Au final ça restera mon credo. Je ne veux pas avoir de regrets.

« Nan j’suis bloquée à la maison, j’ai interdiction de sortir. », je suis au téléphone avec ma meilleure amie, Sibell, "> « Je sais bien Sib’ … mais tu sais … c’est toujours le même argument j’ai le cœur fragile, ils ont peur de ce qui pourrait m’arriver en soirée … bla bla bla tu connais la chanson . ». Réponse de Sibell, « Et si tu faisais le mur ? », je me mordille la lèvre inférieure, la proposition est alléchante… « Ok j’arrive... ». Je me prépare en vitesse et à pas de loups je sors de la maison pour rejoindre mes amies, l’adrénaline coule à flot dans mes veines, c’est la première fois que je désobéis.   « Et bien tu vois, c’était pas si compliqué ! », sa phrase me déclenche un fou rire, Sib’ … tu as une très mauvaise influence sur moi. », Sibell me prend par le bras, « Ma jolie Ambr’, ce soir ne pense à rien, on va s’éclater. » Et effectivement, j’ai découvert ce que faire la fête voulait dire ce soir-là … un peu trop même je n’avais jamais bu d’alcool jusque-là, j’avais trop peur des conséquences et je ne connaissais pas mes limites … je suis rentrée en titubant chez moi en fin de nuit.  En rentrant dans ma chambre,  voilà la mauvaise surprise,  trois de mes ainés sont  là, Eurydice, Eugène et Heléna, ils me regardent l’air visiblement déçu, ce qui me fait baisser les yeux vers le sol tellement la honte est forte.  Eugène est le premier à fendre le silence, «T’étais où ? », Je suis sortie avec des amies... », mon frère lève les yeux au plafond, Eurydice prend la relève, « Tu ne dois pas partir comme ça, on était morts d’inquiétude ! », suivi d’Heléna, « Tu te rends pas compte de la peur que tu nous as fait Ambrosia Théodokis ! », je me mordille la lèvre inférieure, j’ai vraiment l’air d’une gamine prise en flagrant délit, « Je suis désolée... je sais c’était complétement irresponsable.  Mais … pour une fois je me suis sentie normale !». Mon frère et mes sœurs secouent la tête, ils ne rentrent pas dans mon jeu et ne s’apitoient pas sur mon sort, « Eugène, Heléna, retournez vous coucher, je vais dormir avec la jeune délinquante ici présente le temps qu’elle évacue l’alcool qui circule dans son sang ».  Je vais me débarbouiller, me mettre en pyjama et me coucher avec ma grande sœur. Elle ne dit rien, moi non plus, je ferme les yeux et le sommeil ne tarde pas à m’emporter. Je ne veux pas penser au sermon qui m’attend le lendemain, je veux juste penser au fait que je me suis amusée ce soir et que j’ai déjà hâte de recommencer …

3h du matin, sortie de boite plus qu’arrosée, me voilà devant la porte d’un grand appartement et je frappe … Mon esprit embué d’alcool a encore l’idée de me faire  penser à fuir. Cette porte, je la voyais bien trop souvent ces derniers temps… Un homme encore endormi ouvrit la porte et, sans même un bonjour, je me colle de façon totalement indécente à son corps avant de l’embrasser langoureusement. Une grimace s’affiche sur le visage de l’homme « Tu empestes la clope et la Vodka. », je lève les yeux au plafond,  « Fais pas le difficile…». Je vis un sourire s’afficher sur son visage et il n’attendit pas plus longtemps pour me faire entrer à l’intérieur et m’entrainer dans la chambre à coucher.
Le lendemain matin, j’ouvre les yeux et grimace de douleur, ma tête me rappelle les excès de la veille. A tâtons,  je cherche mon sac qui se trouve juste à côté sur le sol, je prends une cigarette dans le paquet et farfouille pour trouver mon briquet. J’allume ce précieux nid à cancer et tire une première bouffée que je recrache. Mon amant n’a pas ouvert les yeux qu’il me dit « Eteins ta merde… je t’ai déjà dit de pas fumer ici. ». Avec un soupir je m’exécute,  «Pourquoi ? Ta femme ne supporte pas l'odeur ?» , il me regarde, son regard change, sa mâchoire se crispe, je viens de le toucher en plein dans le mille, je viens de lui rappeler son adultère, sa trahison et ça, il a du mal à le supporter. Moi, je m'en fiche de sa femme parce que, de toute façon, je ne suis pas amoureuse de lui... alors pourquoi je continue à le voir lui ? La vérité, je n'arrivais plus à me passer de lui, l'affreuse dépendance, voilà ce qu'il représentait. Ce n'était pas qu'une histoire de physique... je pouvais discuter d'énormément de choses avec lui, je me sentais à l’aise avec lui, j’avais pas l’impression d’être malade à ses cotés.   « Tant qu'on est dans les sujets qui fâchent ... y'a une question que j'ai toujours voulu te poser... », je fronce les sourcils, avec lui je m'attendais au pire,   « Tu couches avec moi pour pallier l'absence de ton père dans ta vie ? », ça c'était petit, bas et mesquin,   « Fais pas chier ... essaie pas de me psychanalyser ou je ne sais quoi. ». Il a 31 ans, on a 13 ans de différence ce n’est pas si catastrophique, rien à voir avec un Oedipe non résolu, quel abruti quand il veut ! Mais c'est aussi ça notre relation, on se renvoi paitre tout le temps, c'est de la passion, ça fait le piment, c'est une façon de faire croire qu'on s'en fiche l'un de l'autre. Après un nouveau soupir je sors du lit et entreprends de ramasser mes vêtements afin de me rhabiller. Je ramasse mon sac et regrimpe sur le lit pour aller lui chuchoter à l'oreille   « En fait... je couche avec toi uniquement pour avoir de meilleures notes. », je fais claquer un baiser sur sa joue avant de m'en aller d'une démarche chaloupé. Ah oui, je ne vous ai pas dit ? Je couche avec mon prof de droit civil...

Il y a un peu plus de huit mois. Heléna nous a annoncé qu’elle partait pour les Etats Unis. Ce fût un choc pour moi dans un premier temps, parce que je croyais qu’elle nous abandonnait, qu’elle ne voulait pas de nous avec elle. Quelque chose avait dû se passer avec Louve pour qu’elle prenne une telle décision. Oui, Louve, vous avez bien lu, ma sœur aime les femmes et alors ? L’orientation sexuelle de ma sœur ne m’a jamais posé de problème, du moment qu’elle était heureuse c’était tout ce qui comptait. Bref, tout ça pour dire que l’annonce avait été rude. Mais très vite l’alliance des Théodokis s’est mis en place : Si Heléna partait… alors nous partions tous ! Le temps d’arranger les papiers afin que ma sœur devienne ma tutrice légale et nous étions dans l’avion. J’ai eu du mal à m’aclimater au départ. Nous devions tout recommencer à zéro et nous ne connaissions personnes sur place. J’ai démarré mes études de droit, de nature sociable, j’ai vite fait des connaissances, des amis.  Je me regarde dans le miroir de la salle de bain de ma chambre d’hôpital. Mais il y a trois semaines, mon état s'est dégradé très rapidement, mon cœur est trop fatigué et ce qui devait arriver arriva. En plein cours, évidemment le cours du professeur qui a l'occasion de me voir sous une couette, j'ai eu une grande douleur thoracique et je me suis effondrée devant tout le monde dans l’amphithéâtre. A ce moment là, j'ai cru que c'était fini ... game over. Je me suis réveillée à l’hôpital, entourée par ma fratrie, et le verdict est tombé ... insuffisance cardiaque sévère, le fameux stade terminal. Nous sommes conscient que seule la transplantation cardiaque pourra me sauver dorénavant. Mais est ce qu'un nouveau cœur arrivera à temps ? Ma vie est en train de faire sa plus grande course contre la montre... il faut qu'elle gagne, je ne veux pas penser à une autre issue. Trois semaines que je suis là et je commence sérieusement à faire peur à voir.  Les cernes creusent mes yeux et  mes lèvres sont bleues tout comme le bout de mes doigts et de mes doigts de pieds … cyanose que ça s’appelle, ça arrive de plus en plus souvent ces derniers temps, mon cœur fatigue et l’oxygène a du mal à circuler dans tout mon corps. Je soupire, accrochée à mon pied à perfusion je retourne péniblement jusqu’à mon lit. Ce simple trajet de la salle de bain à mon lit me rend essoufflée et je sens que mon cœur s’emballe. C’est horriblement angoissant, j’ai l’impression que mon cœur peut s’arrêter à chaque instant.  J’entends qu’on frappe à ma porte   « Oui ?», la porte s’ouvre et je découvre mes frères et sœurs, ils sont tous là, Eurydice, Eugène, Heléna, Cornélia, Lysandros et Olympe, c’est pour eux que je tiens chaque jour. Dès que je les vois, un sourire illumine mon visage, ils ont leur sourire de circonstance également. Jamais nous évoquons le pire entre nous,  c’est un sujet tabou, de toute façon on le sait tous que la fin est peut être proche, pas la peine d’en rajouter une couche. Helena désigne un truc dans mon lit « C’est pas vrai que tu as encore ce machin., je suis son regard et mon sourire s’élargit. Elle parle de mon Stitch en peluche, oui je sais ça fait gamine mais je m’en fous, cette peluche a une symbolique bien trop importante pour moi. Petite, j’avais une passion pour le dessin animé Lilo et Stitch, mes frères et sœurs m’ont donc offert un Stitch en peluche à mon anniversaire l’année d’après. Depuis, Stitch m’accompagne dans mes périples hospitaliers, quand je me retrouve toute seule dans ma triste chambre d’hôpital je le sers contre moi et à ce moment-là j’ai l’impression d’avoir mes frères et sœurs avec moi, ça me redonne du courage. Ils me donnent la force de me battre toujours plus quand je crois être arrivée au bout, ils arrivent à me redonner le sourire quand j'ai envie de pleurer. Ils m'ont toujours protégé, ils m'ont soutenu, ils m'ont porté à bout de bras. Nous sommes les Théodokis, rien ne peut nous vaincre un point c'est tout.